Oiseau de feu et piano incandescent : La fougueuse rentrée de l'Orchestre de Paris à Pleyel
La Revue Du Spectacle.fr
Christine Ducq
16 septembre 2012
C’est en très bonne compagnie que les fidèles de l’Orchestre de Paris ont été conviés pour les deux premiers concerts de la saison : avec les 119 musiciens, les 130 chanteurs du Chœur de Lionel Sow, la soprano Mireille Delunsch et le pianiste chinois Lang Lang ! Sans parler du programme à se pâmer : Francis Poulenc, Serge Prokofiev, Igor Stravinski.
Quoi de commun entre cette délicieuse musique française et cette roborative musique russe ? L’énergie. Une énergie rythmique en crescendo se communiquant peu à peu aux auditeurs, qu’on a rarement vus aussi enthousiastes en fin de concert - tout comme votre exaltée reporter. Il faut dire que Paavo Järvi a bien fait les choses, faisant de ces deux premières soirées un manifeste de l’identité musicale de l’Orchestre comme de sa direction.
L'Orchestre de Paris dirigé par Paavo Järvi © Gérard Uféras.
"Les Litanies à la Vierge noire" de Francis Poulenc sont donc entrées mercredi au répertoire de l’Orchestre avec son impressionnant chœur exclusivement féminin et un orchestre réduit aux cordes, aux percussions. Une œuvre composée en 1936 quand Poulenc vient de subir le choc spirituel d’un retour à la foi de l’enfance, alors qu’il a visité la Vierge noire de Rocamadour.
Mireille Delunsch Studio © Cui Cui - Aude Boissaye.
C’est encore une prière, mais cette fois un "Stabat Mater", qu’il compose en 1950, conçue comme l’oraison funèbre du décorateur Christian Bérard mort depuis peu, vieux complice avec Jean Cocteau des créations de jeunesse. Avec un orchestre plus étendu, très coloré grâce au jeu des timbales, des trombones et des trompettes - sans oublier la harpe -, on se laisse donc happer par les passages déchirants par exemple du "Stabat Mater dolorosa", la ferveur ardente de la sarabande, les coulées élégiaques et les voix émouvantes du Chœur tout entier présent cette fois. La soprano Mireille Delunsch - remplaçant au pied levé Patricia Petibon souffrante - a gagné les cœurs avec cette voix colorature aux aigus sans défaut, ce phrasé élégant et cette sûreté de la mélodie.
Lang Lang © DR.
Déjà charmé, le public a vécu l’emballement de la double virtuosité du 3e concerto opus 26 de Serge Prokofiev et du pianiste justement acclamé Lang Lang. Un concerto aussi redoutable techniquement qu’il est remarquable à l’écoute. Difficulté folle que le pianiste chinois a superbement dominée : jeu rubato, toucher d’acier trempé mais aussi passages legato ont eu raison d’une pièce où la brutalité escorte la subtilité. Pour l’orchestre, et ses pupitres gagnés par l’incendie, les amples moments lyriques le disputent à la mélodie folklorique russe, immédiatement transposée en violentes rafales staccato des cordes. En écho aux vagues d’octaves et d’arpèges arrachées au piano par un artiste ahurissant. Jusqu’au "Finale", que Prokofiev appelait une "controverse" entre les belligérants, mettant un terme au dialogue orageux du soliste et de l’orchestre. Je ne vous dis pas l‘entente et la parfaite compréhension qui doivent régner entre eux : elles éclatent ici pour le pianiste, fidèle à la formation depuis 2004.
Et c’est encore une énergie diabolique que communique la magistrale suite "L’Oiseau de feu" d’Igor Stravinski ! Cette légende faisant s’affronter un méchant sorcier, Kachtcheï, et un jeune prince aidé d’un oiseau merveilleux est l’argument d’un ballet chorégraphié par Fokine, donné lors de la seconde tournée parisienne des Ballets russes en 1910. C’est dans l’urgence que Serge de Diaghilev en commande l’illustration musicale à Stravinski, qui se transcende littéralement ici : nouveauté de l’écriture rythmique, composition profondément personnelle - avec des souvenirs de Rimski-Korsakov - génie de l’orchestration. On entend déjà les accents de l’incroyable orgie tribale du "Sacre" à venir, dans la "Danse infernale" du méchant roi. Les acclamations ont justement salué cette fureur géniale et la direction musicale du chef estonien (à qui on ne la fait pas, question "âme slave") : un Directeur sobre, précis, et qui s’enflamme quand il le faut. Le feu sous la glace. Je ne vous encourage que trop à suivre la saison musicale de l’Orchestre de Paris : elle promet encore de riches heures !
Le concert est accessible jusqu’au 13 mars 2013 sur :
orchestredeparis.com
citedelamusiquelive.tv
Il sera diffusé sur Arte ("Maestro") et Mezzo Live HD ultérieurement.
Avec :
Lang Lang, piano ;
Mireille Delunsch, soprano.
Orchestre de Paris, direction : Paavo Järvi ;
Chœur de l’Orchestre de Paris : Lionel Sow, chef de chœur.
Programme :
(Concert entendu le jeudi 13 septembre 2012.)
Francis Poulenc, "Litanies à la Vierge noire, pour chœur de femmes et orchestre".
Francis Poulenc, "Stabat Mater".
Serge Prokofiev, "Concerto pour piano n°3 en ut majeur, opus 26".
Igor Stravinski, "L’Oiseau de Feu, suite pour orchestre (version 1919)".
http://www.larevueduspectacle.fr/Oiseau-de-feu-et-piano-incandescent-La-fougueuse-rentree-de-l-Orchestre-de-Paris-a-Pleyel_a720.html
Christine Ducq
16 septembre 2012
C’est en très bonne compagnie que les fidèles de l’Orchestre de Paris ont été conviés pour les deux premiers concerts de la saison : avec les 119 musiciens, les 130 chanteurs du Chœur de Lionel Sow, la soprano Mireille Delunsch et le pianiste chinois Lang Lang ! Sans parler du programme à se pâmer : Francis Poulenc, Serge Prokofiev, Igor Stravinski.
Quoi de commun entre cette délicieuse musique française et cette roborative musique russe ? L’énergie. Une énergie rythmique en crescendo se communiquant peu à peu aux auditeurs, qu’on a rarement vus aussi enthousiastes en fin de concert - tout comme votre exaltée reporter. Il faut dire que Paavo Järvi a bien fait les choses, faisant de ces deux premières soirées un manifeste de l’identité musicale de l’Orchestre comme de sa direction.
L'Orchestre de Paris dirigé par Paavo Järvi © Gérard Uféras.
"Les Litanies à la Vierge noire" de Francis Poulenc sont donc entrées mercredi au répertoire de l’Orchestre avec son impressionnant chœur exclusivement féminin et un orchestre réduit aux cordes, aux percussions. Une œuvre composée en 1936 quand Poulenc vient de subir le choc spirituel d’un retour à la foi de l’enfance, alors qu’il a visité la Vierge noire de Rocamadour.
Mireille Delunsch Studio © Cui Cui - Aude Boissaye.
C’est encore une prière, mais cette fois un "Stabat Mater", qu’il compose en 1950, conçue comme l’oraison funèbre du décorateur Christian Bérard mort depuis peu, vieux complice avec Jean Cocteau des créations de jeunesse. Avec un orchestre plus étendu, très coloré grâce au jeu des timbales, des trombones et des trompettes - sans oublier la harpe -, on se laisse donc happer par les passages déchirants par exemple du "Stabat Mater dolorosa", la ferveur ardente de la sarabande, les coulées élégiaques et les voix émouvantes du Chœur tout entier présent cette fois. La soprano Mireille Delunsch - remplaçant au pied levé Patricia Petibon souffrante - a gagné les cœurs avec cette voix colorature aux aigus sans défaut, ce phrasé élégant et cette sûreté de la mélodie.
Lang Lang © DR.
Déjà charmé, le public a vécu l’emballement de la double virtuosité du 3e concerto opus 26 de Serge Prokofiev et du pianiste justement acclamé Lang Lang. Un concerto aussi redoutable techniquement qu’il est remarquable à l’écoute. Difficulté folle que le pianiste chinois a superbement dominée : jeu rubato, toucher d’acier trempé mais aussi passages legato ont eu raison d’une pièce où la brutalité escorte la subtilité. Pour l’orchestre, et ses pupitres gagnés par l’incendie, les amples moments lyriques le disputent à la mélodie folklorique russe, immédiatement transposée en violentes rafales staccato des cordes. En écho aux vagues d’octaves et d’arpèges arrachées au piano par un artiste ahurissant. Jusqu’au "Finale", que Prokofiev appelait une "controverse" entre les belligérants, mettant un terme au dialogue orageux du soliste et de l’orchestre. Je ne vous dis pas l‘entente et la parfaite compréhension qui doivent régner entre eux : elles éclatent ici pour le pianiste, fidèle à la formation depuis 2004.
Et c’est encore une énergie diabolique que communique la magistrale suite "L’Oiseau de feu" d’Igor Stravinski ! Cette légende faisant s’affronter un méchant sorcier, Kachtcheï, et un jeune prince aidé d’un oiseau merveilleux est l’argument d’un ballet chorégraphié par Fokine, donné lors de la seconde tournée parisienne des Ballets russes en 1910. C’est dans l’urgence que Serge de Diaghilev en commande l’illustration musicale à Stravinski, qui se transcende littéralement ici : nouveauté de l’écriture rythmique, composition profondément personnelle - avec des souvenirs de Rimski-Korsakov - génie de l’orchestration. On entend déjà les accents de l’incroyable orgie tribale du "Sacre" à venir, dans la "Danse infernale" du méchant roi. Les acclamations ont justement salué cette fureur géniale et la direction musicale du chef estonien (à qui on ne la fait pas, question "âme slave") : un Directeur sobre, précis, et qui s’enflamme quand il le faut. Le feu sous la glace. Je ne vous encourage que trop à suivre la saison musicale de l’Orchestre de Paris : elle promet encore de riches heures !
Le concert est accessible jusqu’au 13 mars 2013 sur :
orchestredeparis.com
citedelamusiquelive.tv
Il sera diffusé sur Arte ("Maestro") et Mezzo Live HD ultérieurement.
Avec :
Lang Lang, piano ;
Mireille Delunsch, soprano.
Orchestre de Paris, direction : Paavo Järvi ;
Chœur de l’Orchestre de Paris : Lionel Sow, chef de chœur.
Programme :
(Concert entendu le jeudi 13 septembre 2012.)
Francis Poulenc, "Litanies à la Vierge noire, pour chœur de femmes et orchestre".
Francis Poulenc, "Stabat Mater".
Serge Prokofiev, "Concerto pour piano n°3 en ut majeur, opus 26".
Igor Stravinski, "L’Oiseau de Feu, suite pour orchestre (version 1919)".
http://www.larevueduspectacle.fr/Oiseau-de-feu-et-piano-incandescent-La-fougueuse-rentree-de-l-Orchestre-de-Paris-a-Pleyel_a720.html
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