Deux Järvi pour le prix d’un : le sobre et l’imaginatif

Resmusica.com
Patrick Georges Montaigu
13.11.2011

Paris. Salle Pleyel. 10-XI-2011. Carl Maria von Weber (1786-1826) : Der Freichtütz, ouverture. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Concerto pour violon et orchestre n°2 en mi mineur op.64. Hector Berlioz (1803-1869) : Symphonie fantastique. , violon. Orchestre de Paris, direction : Paavo Järvi


C’est à une soirée romantique que nous conviait l’Orchestre de Paris dirigé pas son actuel patron Paavo Jarvi avec le concours de la violoniste japonaise puisque allaient se succéder Weber, Mendelssohn et enfin Berlioz avec sa célèbre Symphonie fantastique. De quoi montrer, pour l’orchestre parisien, tempérament et savoir faire dans des œuvres bien connues des publics du monde entier à la veille de sa tournée asiatique.

L’Ouverture du Freischütz entama le concert avec l’accompagnement d’un téléphone portable fort mal venu sur un tel pianissimo introductif, alors que l’orchestre faisait montre d’une belle densité expressive. Sans être tendue jusqu’à l’arc, la suite fit preuve d’une intensité raisonnable qui permit d’avancer sans surprise dans l’action et de présenter les différents personnages de l’opéra. Järvi ne poussa pas son orchestre dans ses retranchements ce qui donna peut-être une sensation de « confortable » un chouïa éloigné de la profondeur du drame romantique que d’autre chef réussissent à atteindre. L’ensemble avait néanmoins une belle tenue même si on ne s’est pas sentit au fin fond de la forêt de Bohême.

Le célèbre Concerto pour violon de Mendelssohn nous permit d’entendre pour la première fois en live le Dolphin utilisé jadis par Jasha Heifetz, cette fois entre les mains d’Akiko Suwanai. La violoniste et le chef s’entendirent fort bien pour nous offrir une version d’un superbe classicisme, au sens étymologique du terme, sans faute de gout (jusqu’à … voir plus bas), jamais sur-jouée ni allégée, où tout tombait juste, qui avançait avec décision, droit et sans sourciller, où la sonorité chantante et lumineuse du violon nous charmait. Cette belle harmonie faillit s’arrêter net lorsqu’une corde lâcha, laissant un instant la violoniste muette et désemparée. De sa main gauche le chef lui indiqua son premier violon Roland Daugareil, les deux échangèrent alors leur instrument. Ce qui nous rappela un incident similaire survenu jadis dans cette même salle à à qui il fallut toutefois moins d’une fraction de seconde pour échanger son violon avec Luben Yordanoff, impressionnant réflexe des deux hommes. Après quelques bonnes minutes passées à remettre le précieux objet en état et s’être assuré qu’il fonctionnait bien, Roland Daugareil rendit (peut-être à regret !) le Strad à sa légitime utilisatrice. Et pour ceux que se demanderait si cette substitution était acoustiquement perceptible, la réponse était, au moins « vue » de notre très bonne place ce soir (et on sait à quel point ça peut jouer), franchement oui, car avec son instrument d’emprunt, Akiko Suwanai produisit un son moins chatoyant, moins charmeur, à l’expression en léger retrait. C’est donc rassurée qu’elle attaqua l’Andante qui conserva la sobre noblesse de phrasé entendue jusqu’ici et espérée jusqu’à la fin, ce qui n’arriva pas. Car le tempo et l’articulation franchement vigoureux choisis pour l’Allegro molto vivace, firent perdre à ce final son caractère savoureux et spirituel que la simple et gratuite virtuosité ne remplacera jamais. A moins de s’appeler Heifetz et de réussir la fusion des deux. Si on met de côté cette fin trop uniment spectaculaire, ce concerto avait belle allure et le public très enthousiaste, se vit offrir deux jolis bis, même si sans surprise deux Bach.

Si la première partie de concert était très classique de ton, la seconde fut beaucoup plus originale avec une lecture pleine d’imagination et d’idées (peut-être trop d’ailleurs) de la Symphonie fantastique. Ennui impossible avec cette lecture au tempo mobile, à chaque instant active et dynamique, tellement d’ailleurs qu’on ne pourrait vous la raconter (il fallait y être !), mais où finalement le fil directeur nous a semblé à la longue de plus en plus difficile à percevoir. Sans doute fallait-il prendre le parti de se laisser porter et ne pas trop essayer d’analyser pour profiter des qualités réelles de cette vision de chef et de la réalisation instrumentale qui avait de beaux moments. C’est là une des qualités essentielle de ce chef que de pouvoir nous offrir des lectures personnelles, attachantes, non routinières, qui capture sur l’instant l’attention de l’auditeur, quitte à ne pas convaincre à 100% (rappelons nous sa Nouveau monde). Mais il sait le faire avec une sincérité convaincante sans extrémisme ni dogmatisme, donnant l’impression que la musique vit librement, ce qui nous semble essentiel.

CCrédit photographie : A.Suwanai/DR

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