Radu Lupu a offert avec l’Orchestre de Paris et Paavo Järvi un grandiose Concerto n° 1 pour piano de Brahms

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By Bruno Serrou
Le 5 avril 2012

Salle Pleyel, mercredi 4 avril 2012

Radu Lupu - Photo : DR

Johannes Brahms convient décidément à la perfection à l’Orchestre de Paris et à son directeur musical Paavo Järvi. A l’instar du concert du 25 janvier, où étaient inscrites deux autres œuvres de Brahms, le Concerto pour violon et la Symphonie n° 2, Järvi a disposé premiers et seconds violons de chaque côté du plateau, violoncelles entre les premiers et les altos et les contrebasses derrière les premiers. Comme voilà deux mois, le chef estonien a ouvert la soirée sur l’une des symphonies parisiennes de Joseph Haydn. Cette fois, dix semaines après « La Poule », c’était au tour de « La Reine de France », en fait la Symphonie n° 85 en si bémol majeur surnommée ainsi dès la première publication du cursus des six symphonies dites Parisiennes en 1788 parce que celle-ci comptait parmi les partitions favorites de Marie-Antoinette, qui, selon la légende, aurait eu pour habitude d’en jouer tous les jours dans sa cellule de la prison du Temple une transcription pour clavecin. En effectif réduit conforme à la formation type Mannheim, l’Orchestre de Paris a donné une interprétation alerte, virevoltante, dans l’esprit « Ancien Régime » que Haydn célèbre ici tout en restant dans le style classique qu’il a lui-même cristallisé et que Johannes Brahms a repris pour le porter en apothéose.

Le moment le plus attendu du concert a été la plus développée des partitions pour piano et orchestre de l’histoire de la musique, après celle faisant en outre appel à un chœur d’hommes de Ferruccio Busoni, le Concerto n° 1 en ré mineur op. 15 de Brahms. Envisagé tout d’abord comme une symphonie qui allait rester inaboutie, le compositeur de vingt ans ne parvenant pas à dégager de son esprit la référence beethovenienne attendra vingt années encore pour écrire et achever la première de ses symphonies, et à l’instar du second, terminé en 1881, ce premier concerto pour piano se présente davantage comme une symphonie concertante avec piano obligé que comme une partition pour soliste et orchestre, le piano sonnant à lui seul comme un orchestre entier tandis que l’orchestre est traité en virtuose. D’une vigoureuse jeunesse, noble et généreux de souffle, grondant avec une énergie chatoyante et féline, les trois mouvements de ce vaste vaisseau forment un incomparable chef-d’œuvre. Assis comme pour une conversation intime sur une chaise, le dos confortablement appuyé sur le dossier, les bras souplement pliés, regardant avec complicité le chef et les solistes de l’orchestre avec qui il instaurait un authentique dialogue, n’utilisant que fort peu la pédale tonale, les doigts courant sur la clavier l’air de rien comme en état d’apesanteur, présence discrète mais imposante, Radu Lupu, chez qui Brahms occupe une place aussi importante que Mozart, Beethoven, Schubert et Schumann, a donné la quintessence de cette partition avec un spontanéité confondante. Extraordinairement calme et serein, le pianiste roumain a donné une lecture souveraine mais bouillonnante de ce grandiose chef-d’œuvre. Intègre dans son approche, toucher étincelant et fluide de ses doigts d’airain galvanisant de chaudes et profondes sonorités en parfaite adéquation avec les couleurs polychromes et tout en reliefs marbrés de l’écriture brahmsienne, la respiration ample, mobile et aérienne, mais ferme et percussive, en péréquation avec la longue respiration des phrases en état d’apesanteur caractéristiques du style de Brahms, qui avait aussi la tête dans les timbales, le pianiste roumain est à 66 ans au sommet de son art. Son jeu et son approche de l’œuvre sont en parfaite communion avec la vision de Paavo Järvi, que le pianiste côtoie depuis longtemps, et les timbres de l’Orchestre de Paris se sont avérés comme le prolongement naturel de ceux du piano, les deux « instruments » chantant ensemble sur les mêmes cimes. Après un bref moment d’hésitation, Lupu s’est volontiers laissé convaincre par le public d’un bis, proposant un Schumann apaisé, d’une ineffable poésie, toute en retenue et en mystère.

La deuxième partie du concert était entièrement occupée par la dernière des partitions pour orchestre seul de Brahms, la Symphonie n° 4 en mi mineur op. 98. Créée à Meiningen le 25 octobre 1885 sous la direction de son auteur, l’ami Hans von Bülow, alors patron de l’orchestre du théâtre franconien, et Richard Strauss, son jeune chef assistant, tenant la partie de percussion et se rendant « coupables d’un nombre important de mauvaises entrées », cette œuvre dans laquelle Antonin Dvořák puisera son inspiration dans deux de ses grandes partitions de la maturité, la Symphonie « du Nouveau Monde » et le secondConcerto pour violoncelle et orchestre, est à la fois la plus classique des symphonies de Brahms, se concluant à l’instar des Variations sur un thème de Haydn op. 56a sur une immense chaconne puisée dans le chœur final de la Cantate BWV.150 de Jean-Sébastien Bach qui donne lieu à d’impressionnantes variations, et la plus éperdue et fébrile. Dirigé avec retenue et intériorité, ce qui peut apparaître pour certains comme un excès de gravité, particulièrement dans les moments d’introspection, mais exaltant le charme des deux mouvements initiaux et la vitalité de l’Allegro giocoso avant de conclure avec une énergie suffocante dans le monumental finale, l’Orchestre de Paris s’est avéré d’une virtuosité singulière, magnifiant une orchestration continuellement renouvelée, particulièrement les instruments à vent et les timbales.



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