Inauguration de l’orgue Rieger de la Philharmonie de Paris
resmusica.com
Thomas Vergracht
30/10/2015
Comme désormais cela devient une habitude avec la Philharmonie de Paris, ce qui n’est pas encore achevé est tout de même inauguré ! En effet, les premières notes du grand orgue du nouveau temple parisien de la musique symphonique se sont fait entendre mercredi 28 octobre dans une salle pleine à craquer pour un concert entre improvisation, création et répertoire.
Car la présence d’un orgue au sein du grand projet architectural qu’est la Philharmonie de Paris n’était pas chose acquise. En effet, l’architecte Jean Nouvel n’avait à l’origine pas prévu de place dévolue à l’instrument, et ce n’est que sous l’impulsion d’un collège d’organistes (dont Olivier Latry, Philippe Lefebvre et Thierry Escaich) qu’un appel d’offre a pu être lancé. Toutefois le défi ne s’arrêtait pas là : en effet, Nouvel ne souhaitant pas d’orgue monumental visible, il s’agissait de pouvoir cacher l’instrument derrière une série de jalousies, s’ouvrant uniquement sur commande de l’organiste, s’agissant donc en d’autres termes des boîtes d’expressions (les quelques tuyaux apparents dans la salle étant pour la plupart muets, seuls les plus grands servant également aux premières notes de la montre du Grand-Orgue). Et quelle intensité lorsque le public vit progressivement s’ouvrir ces volets sous les doigts de Thierry Escaich, dévoilant ainsi une partie des quelques milliers de tuyaux composant l’instrument (plus de 6 000 lorsqu’il sera achevé au mois de février, soit 88 jeux réels. Actuellement seuls sont présents les fonds, le plein-jeu, ainsi que le plus possible de jeux d’anches).
C’est donc à l’immense Thierry Escaich qu’est revenu le privilège d’inaugurer cet instrument conçu par la maison Rieger et l’harmoniste Michel Garnier, mettant ainsi à contribution tant le savoir-faire français que celui d’outre-Rhin. Dans une improvisation privilégiant l’instant à la grande forme, l’organiste déroule son métier au travers d’enchaînements d’instantanés typiques de son souffle musical : tantôt une antienne grégorienne grinçante au cromorne, tantôt une danse pulsée asymétrique, ou bien encore un choral de Bach « sali » par quelques fragments mélodiques désolés. Registrant comme à l’habitude d’une manière profondément orchestrale, Thierry Escaich nous emmène avec lui à la découverte des timbres du nouvel instrument, promenant ainsi l’auditeur dans ce qui semblera être un des plus beaux instruments de France.
Vient s’installer par la suite sur le plateau un Orchestre de Paris à la nomenclature toute particulière (quatre violons, trois altos, quatre violoncelles, huit contrebasses, bois et cuivres par quatre), réminiscence que l’on pense assumée du Schwanendreher, pour alto et petit orchestre de Paul Hindemith. Pourtant, au contraire de son aïeul, le Concerto pour alto de Jörg Widmann, donné ce soir en création mondiale, se veut profondément ancré dans une certaine idée de la modernité, à commencer par une scénographie quelque peu inutile où l’alto solo aura pris la peine de traverser petit à petit tout l’espace scénique, en ajoutant à cela différents mouvements quasi-chorégraphiques, y compris un passage chanté et hurlé. Toutefois, si l’on dépasse ce cadre anecdotique, Jörg Widmannnous offre une pièce de fort belle facture, où les équilibres entre l’alto et le petit ensemble orchestral conduit avec poigne par Paavo Järvi sont parfaitement dosés, et où l’écriture du soliste emmène ce dernier au bout de ses propres limites (jusqu’à la rupture d’une corde, interrompant l’œuvre durant quelques minutes). Débutant au sein d’un univers raréfié aux couleurs « bouléziennes » évidentes (non seulement dans l’harmonie, mais également au travers de l’importante utilisation d’instruments résonnants comme les percussions en métaux, piano et harpe) l’alto se meut en un personnage dramatique à l’instar du Harold de Berlioz, parcourant des paysages sonores chamarrés où l’orchestre semble être une excroissance de ce dernier. De la longue séquence initiale tout en pizzicati, jusqu’à la mélopée finale pleine d’une tendre nostalgie s’évanouissant dans une glissade désincarnée, Antoine Tamestit aura été tout au long de l’œuvre d’un investissement absolu, transfigurant la musique de son ami Jörg Widmann de son alto aux mille couleurs.
On retrouvait après l’entracte un plateau orchestral au grand complet auquel s’était adjoint Thierry Escaich afin de donner une superbe version de la Symphonie n°3 de Camille Saint-Saëns, où l’on aura pu s’attarder non seulement sur les timbres toujours raffinés de l’orchestre de Paavo Järvi, mais où l’on aura également pu entendre à quel point l’orgue Rieger se fond dans les chatoiements de l’orchestre, donnant par moment la réelle sensation d’une deuxième peau que l’on ne saurait quitter (le choral du Poco Adagio).
À la sortie du concert, le célèbre accord de Do majeur ouvrant le finale de l’œuvre résonnait encore dans l’esprit du public, inaugurant on l’espère une belle aventure dans le monde encore trop peu connu de l’orgue en salle de concerts !
Crédit photographique : © Philharmonie de Paris / Arte Concert
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