"Ne pas hiérarchiser la musique"

Le Figaro,

June 2, 2007

Propos recueillis par JEAN-LOUIS VALIDIRE.


Le nouveau directeur musical de l'Orchestre de Paris a dirigé cette semaine à Pleyel, dans un programme Sibelius-Chostakovitch, cette formation qu'il avait déjà tenue sous sa baguette en 2004.

LE FIGARO. - Pourquoi prendre la direction d'orchestre, comme vous le faites aujourd'hui à Paris après Cincinnati et Francfort, plutôt que de poursuivre une carrière de chef invité ?

Paavo JÄRVI. - Être invité procure une excitation particulière mais la qualité du travail est légèrement altérée car vous ne connaissez pas assez les musiciens, qui ne vous connaissent pas non plus. Vous n'avez pas les mêmes relations humaines et surtout vous n'avez pas le temps de les approfondir car vous ne revenez qu'environ tous les deux ans. On ne peut vraiment, comme le disait George Szell, obtenir de bons résultats qu'avec son propre orchestre. C'est aussi la possibilité de maîtriser le répertoire que l'on veut jouer car, lorsqu'on est invité, on est obligé de choisir ce que le directeur musical ne veut pas faire. Mon ambition n'est pas de travailler tout le temps en parcourant le monde mais de mieux développer les orchestres que je dirige, Francfort, Cincinnati et maintenant Paris.

Quelles sont les qualités de l'Orchestre de Paris qui vous ont séduit ?


C'est la troisième fois que je le dirige depuis 2004. Ce qui m'a immédiatement surpris, c'est le son très germanique et sophistiqué des cordes, pas du tout ce que les stéréotypes auraient pu laisser penser d'un orchestre français. J'ai aussi une fois entendu un concerto de Brahms dirigé par Eschenbach et j'ai été étonné par la cohésion et la richesse de ces mêmes cordes, et par la qualité des solistes. Des qualités que l'on s'attend à rencontrer dans les vents des formations françaises. Ce n'est en effet pas une coïncidence si les solistes des pupitres de vents des grands orchestres internationaux sont français. J'ai été aussi heureusement surpris par l'ouverture d'esprit des musiciens. On pense que les orchestres français défendent un répertoire étroit. C'est absolument faux car le programme que j'ai dirigé comportait des oeuvres de Sibelius, de Berg et de Nielsen et les musiciens se sont immédiatement engagés dans cette musique sans vaine querelle. J'ai trouvé cela très rafraîchissant car il n'y a rien de pire que vouloir hiérarchiser la musique.


Avez-vous l'intention, dans cette perspective, d'élargir le répertoire de l'orchestre ?


Il y aura bien sûr un apport des musiciens de la partie du monde d'où je viens mais j'ai toujours été et je reste un grand admirateur du répertoire français, que j'ai dirigé dans mes autres orchestres. Je voudrais trouver un équilibre entre ces aspirations. Je ne veux pas jouer des choses inhabituelles juste pour le plaisir d'étonner. Un grand orchestre n'est pas celui qui a un son particulier en rapport avec une culture ou une autre mais un orchestre qui peut vraiment comprendre et jouer la musique française comme la musique française doit l'être et Brahms comme Brahms doit sonner... Il y a aujourd'hui une plus grande ouverture d'esprit, comme le prouve d'ailleurs le fait que c'est un Estonien qui est appelé à la tête de l'Orchestre de Paris. Mon problème, c'est de jouer la musique le plus authentiquement possible en m'adaptant aux nécessités du compositeur.

Avoir un père chef d'orchestre est-il toujours un avantage ?


Diriger est vraiment une étrange activité. Personne ne peut vraiment en donner une définition. Les chefs progressent graduellement. Il y a des choses que seule l'expérience peut apprendre à moins d'avoir un père qui vous guide car les chefs ne se parlent pas entre eux. Je lui serai toujours reconnaissant de m'avoir appris les choses essentielles qu'un professeur ne vous apprend pas. Mon père me téléphone encore aujourd'hui au milieu de la nuit car il ne sait pas toujours sur quel continent je me trouve pour me faire part de ses réflexions. Il a travaillé avec Mavrinski et il y a ainsi des choses sur la manière d'interpréter Chostakovitch que je viens de diriger avec l'Orchestre de Paris qui m'ont été pratiquement transmises en ligne directe. En plus, nous sommes une famille très unie, mon frère est également chef d'orchestre et nous nous soutenons, ce qui est une aide précieuse.
Personne ne peut dire s'il y a une bonne ou une mauvaise façon de diriger un orchestre. Cela reste un mystère. On peut tout de suite savoir si un violoniste est bon ou mauvais, mais il n'y a pas de critères objectifs pour les chefs.

La critique : "Une énergie prodigieuse" Christian Merlin On avait noté depuis longtemps la date de mercredi soir dans le calendrier de l'Orchestre de Paris, et l'on s'en réjouissait, comme on se réjouit de toutes les occasions de voir diriger Paavo Järvi, l'homme avec lequel les orchestres français jouent mieux. Mais on n'imaginait pas que ce serait aussi l'occasion de fêter l'annonce de sa nomination comme successeur de Christoph Eschenbach. Cela a-t-il ajouté à l'électricité particulière de la soirée ? Toujours est-il que les musiciens se sont « défoncés » comme jamais, témoignant longuement leur sympathie au chef à la fin du concert. Il faut dire que, après l'interprétation toute d'élégance du Concerto pour violon de Sibelius par Lisa Batiashvili, la Symphonie n° 7 « Leningrad », de Chostakovitch, a mis en évidence tout ce que le futur directeur musical peut apporter à l'OP.
C'est un bâtisseur, doté d'une absolue rigueur dans le travail et la conception des oeuvres et d'une autorité naturelle à la limite du jansénisme. Dans cette oeuvre mastodonte, il tend un fil qui jamais ne se rompt ; il la dynamise sans la dynamiter : progressions vertigineuses mais toujours contrôlées, avec un côté acéré qui exclut d'entrée de jeu la moindre tentation d'être sirupeux. On est cloué dans son fauteuil par cette énergie compacte, minérale, qui décuple celle de l'orchestre, non pour faire de l'effet mais pour servir au mieux la puissance expressive de la musique en la canalisant. Les trompettes n'hésitent pas à être criardes, les percussions rappellent le cauchemar de la guerre, mais les cordes suivent le chef jusqu'au pianissimo le plus prenant, sans détimbrer. Ce que l'on attendra, c'est que Paavo Järvi s'ouvre à plus de lyrisme et d'abandon : alors disparaîtront quelques impressions de flou dans la mise en place, qui se régleront quand ces fiançailles au sommet auront débouché sur un mariage heureux.

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