Heureuses retrouvailles de Gil Shaham avec le public à la Philharmonie
Bachtrack
Sylvain Gaulhiac
04.10.2020
Si l'Orchestre de Paris a fait sa rentrée il y a déjà quelques semaines au sein cette période incertaine, c'est ce soir pour une bonne partie du public des retrouvailles avec cet orchestre ainsi qu'avec la Philharmonie. Ce plaisir retrouvé est aussi celui du violoniste Gil Shaham, qui après son concerto nous annonce de son sourire radieux que c’est ce soir sa première apparition devant un public depuis le début de la crise sanitaire, et nous offre en guise de bis l’Isolation Rag, reçu par mail de son ami compositeur Scott Wheeler pendant le confinement de New York. Retour sur ce concert de l’Orchestre de Paris initialement prévu sous la baguette de Tugan Sokhiev, qui s’est finalement déroulé sous celle de Paavo Järvi, avec quelques musiciens masqués, aucun entracte, et un programme légèrement modifié autour de Tchaïkovski, Debussy et Ravel.
Déclaré « injouable » par son premier dédicataire en raison de ses difficultés techniques, le Concerto pour violon en ré majeur de Tchaïkovski jouit d’une renommée sans pareille et ne cesse de séduire par son lyrisme organique et sincère. Au violon, Gil Shaham vibre de la sincérité requise. Fidèle à lui-même, l’implication et la passion avec lesquelles il aborde la musique sont touchantes, totales, et rien ne vaut l’éclat de ses yeux plein de malice cherchant, interrogeant et sollicitant sans trêve la complicité du chef. Il va même à maintes reprises jusqu’à s’approcher à presque un mètre de Paavo Järvi, afin d’affiner au mieux le dialogue. Gil Shaham n’est jamais dans l’esquive, ne se dissimule devant rien et endosse la responsabilité de chaque note et du dessin de toute phrase, leur injectant une nécessité vitale. Il sait ainsi s’arrêter sur chaque son pour lui prêter l’attention qu’il mérite, il sait faire sonner de toute sa chaleur son Stradivarius (Comtesse Polignac de 1699), et à la virtuosité, dont il ne met jamais en avant la performance, il ne sacrifie ni la richesse du son, ni sa couleur ou sa lumière. L’extrême vocalité que son violon incarne dans l’« Andante » se déploie tout naturellement, semblant émaner d’une authenticité de sentiments sans nul artifice. Saluons la finesse de dentelle et l‘élégance des trilles égrainés par le violon à la fin de sa cadence.
Le dialogue avec l’orchestre est irréprochable, Paavo Järvi et Gil Shaham semblent être sur la même longueur d’onde, l’un sachant tempérer momentanément ses ardeurs pour laisser celles de l’autre s’exprimer avec plus l’exaltation, ou tous deux se répondant, s’équilibrant, se soutenant selon une entente jamais mise en défaut. Le dialogue, chambriste à souhait dans l’« Andante », devient un véritable engouement frénétique de tous les musiciens dans le dernier mouvement « Allegro vivacissimo » jusqu’à l’accélération vers l’irrésistible péroraison.
La deuxième partie du concert est dédiée à la musique française que l’orchestre connaît sur le bout des doigts : La Mer de Debussy, programmée dès le concert inaugural de l’Orchestre de Paris le 14 novembre 1967, et la deuxième suite d'orchestre de Daphnis et Chloé de Ravel, au programme de la phalange symphonique dès 1968. Paavo Järvi connaît parfaitement l’orchestre dont il a été directeur musical pendant six ans, il sait comment l’agripper pour en extraire les larges spectres de couleurs, la ductilité rythmique et la souplesse de timbres qu’exigent de telles œuvres. Il s’attelle à la tâche sans ciller, par des gestes efficaces et une intelligence musicale qui sait allier l’art des coloris et des évocations poétiques à l’équilibre délicat entre l’imprévisibilité rythmique de Debussy ou de la bacchanale ravélienne, et le sens de l’architecture. Saluons la chaleur des altos et la qualité du pupitre des bois, notamment des flûtes, qui nous offrent des moments sublimes, comme dans le « Dialogue du vent et de la mer » où elles s’expriment par mélismes suggestifs sur les méandres des harpes et les filigranes des cordes.
Ce concert (avec celui du jeudi) est le dernier de l’altiste Ana Bela Chaves qui prend sa retraite après quarante ans de loyaux services au poste de premier alto solo de l’Orchestre de Paris. De nombreux témoignages de ses collègues et amis figurent sur plus de six pages du programme papier distribué, rendant un hommage vibrant à sa personnalité et à son investissement au sein de l’orchestre, saluant, comme le fait l'altiste Sophie Divin, « une personne profondément humaine et une artiste formidable », qui a « défendu son pupitre bec et ongles, en toutes circonstance ; toujours juste et d'une fiabilité à toute épreuve ».
Sylvain Gaulhiac
04.10.2020
Si l'Orchestre de Paris a fait sa rentrée il y a déjà quelques semaines au sein cette période incertaine, c'est ce soir pour une bonne partie du public des retrouvailles avec cet orchestre ainsi qu'avec la Philharmonie. Ce plaisir retrouvé est aussi celui du violoniste Gil Shaham, qui après son concerto nous annonce de son sourire radieux que c’est ce soir sa première apparition devant un public depuis le début de la crise sanitaire, et nous offre en guise de bis l’Isolation Rag, reçu par mail de son ami compositeur Scott Wheeler pendant le confinement de New York. Retour sur ce concert de l’Orchestre de Paris initialement prévu sous la baguette de Tugan Sokhiev, qui s’est finalement déroulé sous celle de Paavo Järvi, avec quelques musiciens masqués, aucun entracte, et un programme légèrement modifié autour de Tchaïkovski, Debussy et Ravel.
Déclaré « injouable » par son premier dédicataire en raison de ses difficultés techniques, le Concerto pour violon en ré majeur de Tchaïkovski jouit d’une renommée sans pareille et ne cesse de séduire par son lyrisme organique et sincère. Au violon, Gil Shaham vibre de la sincérité requise. Fidèle à lui-même, l’implication et la passion avec lesquelles il aborde la musique sont touchantes, totales, et rien ne vaut l’éclat de ses yeux plein de malice cherchant, interrogeant et sollicitant sans trêve la complicité du chef. Il va même à maintes reprises jusqu’à s’approcher à presque un mètre de Paavo Järvi, afin d’affiner au mieux le dialogue. Gil Shaham n’est jamais dans l’esquive, ne se dissimule devant rien et endosse la responsabilité de chaque note et du dessin de toute phrase, leur injectant une nécessité vitale. Il sait ainsi s’arrêter sur chaque son pour lui prêter l’attention qu’il mérite, il sait faire sonner de toute sa chaleur son Stradivarius (Comtesse Polignac de 1699), et à la virtuosité, dont il ne met jamais en avant la performance, il ne sacrifie ni la richesse du son, ni sa couleur ou sa lumière. L’extrême vocalité que son violon incarne dans l’« Andante » se déploie tout naturellement, semblant émaner d’une authenticité de sentiments sans nul artifice. Saluons la finesse de dentelle et l‘élégance des trilles égrainés par le violon à la fin de sa cadence.
Le dialogue avec l’orchestre est irréprochable, Paavo Järvi et Gil Shaham semblent être sur la même longueur d’onde, l’un sachant tempérer momentanément ses ardeurs pour laisser celles de l’autre s’exprimer avec plus l’exaltation, ou tous deux se répondant, s’équilibrant, se soutenant selon une entente jamais mise en défaut. Le dialogue, chambriste à souhait dans l’« Andante », devient un véritable engouement frénétique de tous les musiciens dans le dernier mouvement « Allegro vivacissimo » jusqu’à l’accélération vers l’irrésistible péroraison.
La deuxième partie du concert est dédiée à la musique française que l’orchestre connaît sur le bout des doigts : La Mer de Debussy, programmée dès le concert inaugural de l’Orchestre de Paris le 14 novembre 1967, et la deuxième suite d'orchestre de Daphnis et Chloé de Ravel, au programme de la phalange symphonique dès 1968. Paavo Järvi connaît parfaitement l’orchestre dont il a été directeur musical pendant six ans, il sait comment l’agripper pour en extraire les larges spectres de couleurs, la ductilité rythmique et la souplesse de timbres qu’exigent de telles œuvres. Il s’attelle à la tâche sans ciller, par des gestes efficaces et une intelligence musicale qui sait allier l’art des coloris et des évocations poétiques à l’équilibre délicat entre l’imprévisibilité rythmique de Debussy ou de la bacchanale ravélienne, et le sens de l’architecture. Saluons la chaleur des altos et la qualité du pupitre des bois, notamment des flûtes, qui nous offrent des moments sublimes, comme dans le « Dialogue du vent et de la mer » où elles s’expriment par mélismes suggestifs sur les méandres des harpes et les filigranes des cordes.
Ce concert (avec celui du jeudi) est le dernier de l’altiste Ana Bela Chaves qui prend sa retraite après quarante ans de loyaux services au poste de premier alto solo de l’Orchestre de Paris. De nombreux témoignages de ses collègues et amis figurent sur plus de six pages du programme papier distribué, rendant un hommage vibrant à sa personnalité et à son investissement au sein de l’orchestre, saluant, comme le fait l'altiste Sophie Divin, « une personne profondément humaine et une artiste formidable », qui a « défendu son pupitre bec et ongles, en toutes circonstance ; toujours juste et d'une fiabilité à toute épreuve ».
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