Festival de Lanaudière - Le Schumann lumineux de Paavo Järvi
Christophe Huss
Le Devoir
2 août 2010
La Deutsche Kammerphilharmonie Bremen (DKP) et le chef estonien Paavo Järvi présentaient cette fin de semaine l'intégrale des Symphonies de Schumann en trois concerts, dont deux avec soliste. Nous nous penchons dans cette même page sur le partenariat avec Hilary Hahn, samedi soir. Le pianiste Piotr Anderszewski, qui a joué le 17e Concerto de Mozart, hier après-midi, sans fioritures de toucher mais en faisant sourdre une bouleversante tension dans le mouvement lent, nous excusera de ne pas nous attarder plus longemps sur lui. Son rappel était tiré des Chants populaires hongrois de Bartók.
Nous parlons ici de Schumann. Le tandem Järvi-DKP abordait pour la première fois ses symphonies en intégrale groupée dans le temps. Auréolé de sa renommée désormais internationale dans Beethoven (même les Anglais s'y intéressent à présent: c'est dire!), ledit tandem est prêt à conquérir le monde avec Schumann, avant Brahms, qui sera présenté en 2013 à l'amphithéâtre.
À propos de Beethoven, les auditeurs ont pu jauger à travers les rappels (2e mouvement de la 8e, vendredi; finale de la 1re, samedi) à quel point les interprétations déjà hors norme sont devenues quasi irréelles de verve, de précision et d'invention. Ce compte rendu a failli s'intituler «L'orchestre s'amuse», car le plaisir de la musique partagée par les musiciens entre eux et avec le public n'est ici pas un vain mot: c'est une mission.
Dans Le Devoir de samedi, nous brossions un portrait des défis posés par les symphonies de Schumann. En quelques mots, il s'agit pour le chef d'ouvrir le son de l'orchestre, de faire jaillir la polyphonie, dans une articulation ferme prête à traduire le dramatisme, ou, à tout le moins, les changements d'humeur du compositeur.
La manière Järvi-DKP
La manière Järvi-DKP est propice à cela, d'autant qu'ils viennent à Schumann «en montant de Beethoven», et non, comme beaucoup de chefs et d'orchestres, «en descendant de Brahms». On retrouve l'énergie collective forcenée, la clarté de l'articulation, l'écoute mutuelle. Les musiciens différencient nettement la ligne générale et tout ce qui s'en démarque: accents, interventions d'instruments ajoutant une couleur particulière.
Järvi est capable de retenir un peu les cordes pour faire passer les bois. Ce n'est pas un détail ou une coquetterie: c'est une nécessité dans cette musique.
L'ouverture Manfred, hier, a mis particulièrement le point sur un élément qui distingue Järvi et de tous les autres musiciens (Hilary Hahn par exemple): la première note d'une phrase est un postulat, pas une sorte de «fondu entrant». Autres atouts: il n'y a pas de dogmatisme baroque (les cantabiles sont ornés d'un beau vibrato) et le ton n'est jamais sautillant. Seconds violons et altos ont une présence très rare.
Sur le plan esthétique, Järvi s'écarte de mon schumannien préféré, Leonard Bernstein, par une charge dramatique moindre. Comme les 6e et 9e Symphonies de Beethoven en 2007, le terrain de travail majeur va être la 4e Symphonie. Il y manque encore quelques dimensions: une intensité dans le soutien des phrases par les cordes, une façon de porter le son à terme, la présence des cors dans la balance (ils se sont rattrapés dans les Symphonies n° 1 et 3). Bref, un terreau sonore d'un romantisme sylvestre plus évocateur, à la respiration plus profonde. Peut-être la fatigue du voyage avait-elle émoussé un peu la DKP ce premier soir.
Les trois autres symphonies sont déjà quasiment extralucides dans la manière de nourrir l'évocation sonore, de ne jamais relâcher l'intensité. L'agencement des tempos dans le 3e mouvement de la Symphonie no 1 (un scherzo et deux trios, dont le premier molto più vivace, une rareté absolue dans la musique) tenait du pur génie, de même que la liberté rythmique de la fin de ce volet.
Apothéose suprême: la relative pondération des mouvements conclusifs permet de faire exploser leurs aboutissements. Une signature de la même manière, dont cette magique équipe, sans équivalent au monde, fait éclater la force de la musique.
http://www.ledevoir.com/culture/musique/293604/festival-de-lanaudiere-le-schumann-lumineux-de-paavo-jarvi
Le Devoir
2 août 2010
La Deutsche Kammerphilharmonie Bremen (DKP) et le chef estonien Paavo Järvi présentaient cette fin de semaine l'intégrale des Symphonies de Schumann en trois concerts, dont deux avec soliste. Nous nous penchons dans cette même page sur le partenariat avec Hilary Hahn, samedi soir. Le pianiste Piotr Anderszewski, qui a joué le 17e Concerto de Mozart, hier après-midi, sans fioritures de toucher mais en faisant sourdre une bouleversante tension dans le mouvement lent, nous excusera de ne pas nous attarder plus longemps sur lui. Son rappel était tiré des Chants populaires hongrois de Bartók.
Nous parlons ici de Schumann. Le tandem Järvi-DKP abordait pour la première fois ses symphonies en intégrale groupée dans le temps. Auréolé de sa renommée désormais internationale dans Beethoven (même les Anglais s'y intéressent à présent: c'est dire!), ledit tandem est prêt à conquérir le monde avec Schumann, avant Brahms, qui sera présenté en 2013 à l'amphithéâtre.
À propos de Beethoven, les auditeurs ont pu jauger à travers les rappels (2e mouvement de la 8e, vendredi; finale de la 1re, samedi) à quel point les interprétations déjà hors norme sont devenues quasi irréelles de verve, de précision et d'invention. Ce compte rendu a failli s'intituler «L'orchestre s'amuse», car le plaisir de la musique partagée par les musiciens entre eux et avec le public n'est ici pas un vain mot: c'est une mission.
Dans Le Devoir de samedi, nous brossions un portrait des défis posés par les symphonies de Schumann. En quelques mots, il s'agit pour le chef d'ouvrir le son de l'orchestre, de faire jaillir la polyphonie, dans une articulation ferme prête à traduire le dramatisme, ou, à tout le moins, les changements d'humeur du compositeur.
La manière Järvi-DKP
La manière Järvi-DKP est propice à cela, d'autant qu'ils viennent à Schumann «en montant de Beethoven», et non, comme beaucoup de chefs et d'orchestres, «en descendant de Brahms». On retrouve l'énergie collective forcenée, la clarté de l'articulation, l'écoute mutuelle. Les musiciens différencient nettement la ligne générale et tout ce qui s'en démarque: accents, interventions d'instruments ajoutant une couleur particulière.
Järvi est capable de retenir un peu les cordes pour faire passer les bois. Ce n'est pas un détail ou une coquetterie: c'est une nécessité dans cette musique.
L'ouverture Manfred, hier, a mis particulièrement le point sur un élément qui distingue Järvi et de tous les autres musiciens (Hilary Hahn par exemple): la première note d'une phrase est un postulat, pas une sorte de «fondu entrant». Autres atouts: il n'y a pas de dogmatisme baroque (les cantabiles sont ornés d'un beau vibrato) et le ton n'est jamais sautillant. Seconds violons et altos ont une présence très rare.
Sur le plan esthétique, Järvi s'écarte de mon schumannien préféré, Leonard Bernstein, par une charge dramatique moindre. Comme les 6e et 9e Symphonies de Beethoven en 2007, le terrain de travail majeur va être la 4e Symphonie. Il y manque encore quelques dimensions: une intensité dans le soutien des phrases par les cordes, une façon de porter le son à terme, la présence des cors dans la balance (ils se sont rattrapés dans les Symphonies n° 1 et 3). Bref, un terreau sonore d'un romantisme sylvestre plus évocateur, à la respiration plus profonde. Peut-être la fatigue du voyage avait-elle émoussé un peu la DKP ce premier soir.
Les trois autres symphonies sont déjà quasiment extralucides dans la manière de nourrir l'évocation sonore, de ne jamais relâcher l'intensité. L'agencement des tempos dans le 3e mouvement de la Symphonie no 1 (un scherzo et deux trios, dont le premier molto più vivace, une rareté absolue dans la musique) tenait du pur génie, de même que la liberté rythmique de la fin de ce volet.
Apothéose suprême: la relative pondération des mouvements conclusifs permet de faire exploser leurs aboutissements. Une signature de la même manière, dont cette magique équipe, sans équivalent au monde, fait éclater la force de la musique.
http://www.ledevoir.com/culture/musique/293604/festival-de-lanaudiere-le-schumann-lumineux-de-paavo-jarvi
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