Paavo Järvi, chronique d'un départ annoncé

LeFigaro.fr
Christian Merlin
02/09/2014

LA CHRONIQUE DE CHRISTIAN MERLIN - Avec un sens inné du temps juste, le chef a fait savoir qu'il quitterait l'Orchestre de Paris à la fin de son contrat, en 2016.

Il y a quelques jours, Paavo Järvi prenait l'initiative de publier un communiqué annonçant qu'il ne prolongerait pas son contrat de directeur musical de l'Orchestre de Paris au-delà de 2016. Il est rare que l'on apprenne une telle nouvelle de la part de l'intéressé lui-même. Le chef l'a fait en soulignant qu'il «adore l'Orchestre de Paris» et qu'il a pris cette décision «le cœur lourd», mais qu'il aborde un «nouveau chapitre» de sa vie, prenant en 2015 la direction de l'Orchestre symphonique de la NHK de Tokyo tout en poursuivant le lien qui l'unit à la Deutsche Kammerphilharmonie de Brême depuis vingt ans. Il rappelle ce qu'il a déjà accompli avec l'Orchestre de Paris et ce qui leur reste encore à réaliser dans les deux ans à venir, en particulier l'installation dans la nouvelle Philharmonie de Paris, l'inauguration d'une nouvelle salle de concerts à Shanghaï et un enregistrement de l'intégrale des symphonies de Sibelius, qui sera, s
auf erreur, le premier réalisé par un orchestre français.
Premier réflexe: regretter cette décision, tant l'apport de Järvi a été inestimable depuis 2010. Il a redonné confiance et fierté à une formation qu'il avait trouvée déstabilisée. Il a fait preuve d'évidentes qualités d'éducateur d'orchestre en effectuant un travail de fond sur le son et le jeu collectif, afin d'en améliorer l'homogénéité. Il a obtenu des musiciens une régularité qui n'est pas la qualité première à laquelle on associe les orchestres français. Il a créé un lien de complicité avec les instrumentistes, chez qui transparaissent l'énergie et le plaisir de jouer, mais aussi avec le public, ce que l'on n'aurait pas attendu de ce Nordique d'apparence froide. On n'aura pas tardé à s'apercevoir que l'habit ne fait pas le moine et que sa ressemblance avec Vladimir Poutine s'arrête à son crâne chauve, car l'homme est charmant et le chef peu enclin au despotisme. Bref, il va nous manquer.


Paavo Järvi lors du festival Rheingau Musik à Francfort, en juin dernier.
Paavo Järvi lors du festival Rheingau Musik à Francfort, en juin dernier. Crédits photo : Fredrik von Erichsen/DPA/MAXPPP

Mais à y regarder de plus près, on se dit que cette décision est pleine de bon sens. Ne courant pas les invitations à droite et à gauche, Järvi fait partie de ceux qui préfèrent se consacrer à un ou deux orchestres afin de construire quelque chose. Il en a toujours cumulé au moins deux (Cincinnati et Francfort, Francfort et Paris, etc.). Celui de la NHK, traditionnellement le meilleur de Tokyo, est laissé en friche depuis des années: s'il veut en refaire une phalange internationale, les fuseaux horaires ne permettront pas d'être aussi disponible pour Paris, c'est honnête d'en tenir compte (Charles Dutoit n'eut pas ces scrupules quand il y était en même temps qu'à l'Orchestre national). Et surtout, un directeur musical ne reste plus aujourd'hui aussi longtemps qu'autrefois à la tête du même orchestre. Les cinquante ans de Mravinski à Leningrad, les quarante-quatre ans d'Ormandy à Philadelphie, le contrat de «chef à vie» de Karajan à Berlin, c'est du passé. La vie va plus vite, les chefs voyagent et, comme les couples, on se lasse plus vite et l'on veut du changement.
En quittant son poste en 2016, Paavo Järvi a l'intelligence de partir en plein succès, avant d'avoir laissé s'installer routine et lassitude: il n'a que trop bien vu les dernières années de règne de son prédécesseur Christoph Eschenbach tourner au cauchemar. Déjà, tout «fan de Paavo» que l'on est, on se surprend parfois à ne plus être surpris par sa baguette intense mais pas toujours lyrique, sa sonorité puissante mais pas toujours délicate et à se dire que d'autres pistes peuvent être creusées. En annonçant son retrait à l'avance, il laisse à l'orchestre le temps de se mettre en quête de l'oiseau rare et de s'interroger sur ce que l'on attend d'un directeur musical à l'heure où le paysage musical parisien est en pleine recomposition. Décidément, Paavo Järvi aura eu tout juste.
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