CD : l'univers symphonique de Franz Schmidt
ON-mag
Jean-Pierre Robert
19.03.2021
Voici l'occasion de découvrir la musique symphonique du compositeur autrichien Franz Schmidt dont la production dans le genre s'étend de 1900 à 1933. Un univers tonal plus tourné vers Bruckner que les adeptes de la Seconde École de Vienne qui pourtant l'admiraient. Ces derniers feux de la grande symphonie romantique sont révélés par des interprétations convaincues de Paavo Järvi, prenant en cela la suite de son père, Neeme Järvi qui a signé naguère une des premières intégrales de ce même corpus.
Le compositeur autrichien Franz Schmidt (1874-1939) est plus connu pour son oratorio Das Buch mit den Sieben Siegeln (Le Livre aux Sept Sceaux), voire son opéra Notre-Dame, que par ses symphonies. Pourtant, ce corpus de quatre œuvres mérite qu'on s'y arrête. Admiré par ses contemporains dont Schoenberg qui voyait en lui « le dernier grand maître de l'ère romantique », le musicien prend ses distances avec les nouvelles voies ambiantes. Sa musique est plus dans le sillage de Brahms et de Bruckner, voire de Reger et de Strauss. Elle reste tonale même si en touchant les limites du système. Sa manière polyphonique se signale par une science aboutie de l’orchestration et un rare raffinement dans l'instrumentation, sans doute avatar de sa première carrière de soliste comme violoncelliste dans l'Orchestre de l'Opéra d’État de Vienne, alors dirigé par Mahler. Il écrit sa Première symphonie en 1900, qui remporte le prix Beethoven, et sera créée en 1902. De vastes proportions, en quatre parties, elle montre une monumentalité qu'on retrouvera dans les suivantes, à l'exception de la troisième. Peut-être influencé par les origines austro-hongroises du musicien, un ton magyar s'y fait jour. Ainsi en est-il du second mouvement Langsam (Lentement), par la mélodie soutenue de la clarinette et ses effets bucoliques aux bois préludant à un développement qui voit fleurir un lyrisme généreux jusqu'à un climax magistralement résolu. Le mouvement suivant, Schnell und Leicht (vite et léger) est un scherzo joyeux habilement orchestré, la partie médiane virant au nocturne. Comme le premier mouvement, le finale animé paie sa dette au mode baroque, avec un clin d’œil au chant des apprentis des Meistersinger de Wagner. On y admire un usage du procédé de la variation et une conclusion en apothéose cuivrée. Non pas un essai, ce premier opus est un coup de maître en termes d'habileté d'orchestration et d'invention mélodique.
La Symphonie N°2, de 1913, est plus ambitieuse encore, réclamant une formation fournie digne de Strauss ou de Mahler, et plus avant-gardiste à l'épreuve de la tonalité. Elle est constituée de trois parties. Le Lebhaft (animé) cherche sa voie entre grandiose et mystérieux par un traitement orchestral tendu ou assagi. Les contrastes abondent comme les traits originaux à la petite harmonie et un mode presque straussien se fait jour au développement. Partie la plus singulière de l’œuvre, l'Allegretto con variazioni, marqué ''Einfach und zart'' (simple et tendre), est une succession de 10 variations sur un chant populaire, diversement distribuées entre les divers pupitres de l'orchestre, certaines pour les seules cordes ou uniquement les bois, et suivant des tempos variés. Les deux dernières forment une sorte de couple scherzo-trio à l'intérieur de la symphonie, très animé, presque insouciant, puis très calme tel un nocturne. Le finale, Lentement, s'ouvre par un contrepoint à l'ancienne en lien avec le thème du mouvement précédent, joué à la petite harmonie. Les cordes prennent le relais en un rondo de forme libre. On y remarque un fin dialogue entre hautbois et flûte. Après une montée en intensité, le mouvement se conclut en apothéose, là encore rehaussée de cuivres.
La Symphonie N°3, écrite pour le centenaire de la mort de Schubert (1928), offre une orchestration plus claire de par son effectif moins touffu. Et un climat pastoral, dessinant des harmonies recherchées, comme au premier mouvement Allegro molto moderato, par un délicat travail sur les bois dont la flûte. On y discerne quelques Leitmotives discrets. L'Adagio est sombre et quelque peu abscons dans sa thématique à l'origine d'un mécanisme de variations. Un scherzo vivace suit plein de verve dans d'intéressants échanges cordes-vents. Le trio contraste par son mode apaisé où les bois jouent là encore un rôle déterminant, écho d'une danse de Ländler. Le finale s'ouvre par un Lento en forme de choral de bois et de cors ; discret hommage à Schubert et à la symphonie ''La Grande''. Le thème forme l'ossature de l'Allegro vivace qui suit et le flux se densifie dans une construction savamment dosée, le développement faisant penser à certaines harmonies privilégiées par Richard Strauss.
Écrite en 1933, la Symphonie N°4 de Schmidt se ressent d'un contexte personnel tragique, la perte de sa fille. Ce sera le chant du cygne du musicien, à l'orchestre du moins. Peut-être l’œuvre signe-t-elle aussi la fin du genre de la grande symphonie en Autriche. Le mode introspectif, induit par ce que le musicien désigne comme un ''Requiem pour ma fille'', appelle encore une riche orchestration au fil de ses quatre mouvements joués enchaînés et dans une construction symétrique. Introduit par un solo de trompette, le premier mouvement voit s'installer un second thème très expressif de type hongrois, sous-tendu par une scansion lancinante de grosse caisse, dégageant un indéniable dramatisme. Le discours se complexifie jusqu'à l'émergence d'un solo de cor anglais annonçant une section lyrique qui s'élargit jusqu'à un climax. Cette section marquée Passionato possède le parfum d'une fin annoncée. De forme tripartite, l'Adagio fait s'enchaîner un solo mélodique de violoncelle s'élargissant à l'ensemble des violons et aux bois, puis une marche funèbre grandiose et enfin le retour du chant du violoncelle. Le Molto vivace est un moment de bonne humeur, bondissant comme celui de la troisième symphonie. Le finale reprend les éléments du Ier mouvement, dans un processus inversé. La douleur semble laisser place à quelque espoir, la tension refluer jusqu'à son point de départ pour s'évanouir dans le même solo de trompette.
Le coffret comporte encore l'Intermezzo extrait de l'opéra Notre-Dame (1914), mais préexistant à l'achèvement de celui-ci puisque datant de 1903. Le morceau, intercalé entre les scènes 2 et 3 du Ier acte, dresse un portrait de la jeune gitane Esmeralda, avec toute l'intensité que procure une orchestration extrêmement tendue.
Paavo Järvi et les forces du Radio Sinfonieorchester Frankfurt dont il fut directeur musical de 2006 à 2013, apportent leur expertise à cette musique aux sonorités d'une luxuriance qui peut conduire à la compacité dans ses passages les plus complexes. Le chef estonien sait garder la tête froide et éviter pareil écueil. La longue pratique par cette formation du grand répertoire romantique tardif est bien connue, de Bruckner ou de Mahler en particulier, sous la baguette d'Eliahu Inbal naguère et précisément de Järvi plus récemment. Leurs exécutions qui bénéficient de la spontanéité du live, montrent un travail extrêmement pointu de la petite harmonie et de l'ensemble des cordes somptueuses. Et un son se prêtant particulièrement bien à la saisie discographique.
Les enregistrements, pourtant effectués en concert entre 2013 et 2018 et dans deux salles différentes, l'auditorium de la radio et l'Alte Oper de Francfort, offrent une parfaite cohérence en termes de prise de son : une image large mais bien proportionnée avec un naturel étagement des plans.
Jean-Pierre Robert
19.03.2021
Voici l'occasion de découvrir la musique symphonique du compositeur autrichien Franz Schmidt dont la production dans le genre s'étend de 1900 à 1933. Un univers tonal plus tourné vers Bruckner que les adeptes de la Seconde École de Vienne qui pourtant l'admiraient. Ces derniers feux de la grande symphonie romantique sont révélés par des interprétations convaincues de Paavo Järvi, prenant en cela la suite de son père, Neeme Järvi qui a signé naguère une des premières intégrales de ce même corpus.
Le compositeur autrichien Franz Schmidt (1874-1939) est plus connu pour son oratorio Das Buch mit den Sieben Siegeln (Le Livre aux Sept Sceaux), voire son opéra Notre-Dame, que par ses symphonies. Pourtant, ce corpus de quatre œuvres mérite qu'on s'y arrête. Admiré par ses contemporains dont Schoenberg qui voyait en lui « le dernier grand maître de l'ère romantique », le musicien prend ses distances avec les nouvelles voies ambiantes. Sa musique est plus dans le sillage de Brahms et de Bruckner, voire de Reger et de Strauss. Elle reste tonale même si en touchant les limites du système. Sa manière polyphonique se signale par une science aboutie de l’orchestration et un rare raffinement dans l'instrumentation, sans doute avatar de sa première carrière de soliste comme violoncelliste dans l'Orchestre de l'Opéra d’État de Vienne, alors dirigé par Mahler. Il écrit sa Première symphonie en 1900, qui remporte le prix Beethoven, et sera créée en 1902. De vastes proportions, en quatre parties, elle montre une monumentalité qu'on retrouvera dans les suivantes, à l'exception de la troisième. Peut-être influencé par les origines austro-hongroises du musicien, un ton magyar s'y fait jour. Ainsi en est-il du second mouvement Langsam (Lentement), par la mélodie soutenue de la clarinette et ses effets bucoliques aux bois préludant à un développement qui voit fleurir un lyrisme généreux jusqu'à un climax magistralement résolu. Le mouvement suivant, Schnell und Leicht (vite et léger) est un scherzo joyeux habilement orchestré, la partie médiane virant au nocturne. Comme le premier mouvement, le finale animé paie sa dette au mode baroque, avec un clin d’œil au chant des apprentis des Meistersinger de Wagner. On y admire un usage du procédé de la variation et une conclusion en apothéose cuivrée. Non pas un essai, ce premier opus est un coup de maître en termes d'habileté d'orchestration et d'invention mélodique.
La Symphonie N°2, de 1913, est plus ambitieuse encore, réclamant une formation fournie digne de Strauss ou de Mahler, et plus avant-gardiste à l'épreuve de la tonalité. Elle est constituée de trois parties. Le Lebhaft (animé) cherche sa voie entre grandiose et mystérieux par un traitement orchestral tendu ou assagi. Les contrastes abondent comme les traits originaux à la petite harmonie et un mode presque straussien se fait jour au développement. Partie la plus singulière de l’œuvre, l'Allegretto con variazioni, marqué ''Einfach und zart'' (simple et tendre), est une succession de 10 variations sur un chant populaire, diversement distribuées entre les divers pupitres de l'orchestre, certaines pour les seules cordes ou uniquement les bois, et suivant des tempos variés. Les deux dernières forment une sorte de couple scherzo-trio à l'intérieur de la symphonie, très animé, presque insouciant, puis très calme tel un nocturne. Le finale, Lentement, s'ouvre par un contrepoint à l'ancienne en lien avec le thème du mouvement précédent, joué à la petite harmonie. Les cordes prennent le relais en un rondo de forme libre. On y remarque un fin dialogue entre hautbois et flûte. Après une montée en intensité, le mouvement se conclut en apothéose, là encore rehaussée de cuivres.
La Symphonie N°3, écrite pour le centenaire de la mort de Schubert (1928), offre une orchestration plus claire de par son effectif moins touffu. Et un climat pastoral, dessinant des harmonies recherchées, comme au premier mouvement Allegro molto moderato, par un délicat travail sur les bois dont la flûte. On y discerne quelques Leitmotives discrets. L'Adagio est sombre et quelque peu abscons dans sa thématique à l'origine d'un mécanisme de variations. Un scherzo vivace suit plein de verve dans d'intéressants échanges cordes-vents. Le trio contraste par son mode apaisé où les bois jouent là encore un rôle déterminant, écho d'une danse de Ländler. Le finale s'ouvre par un Lento en forme de choral de bois et de cors ; discret hommage à Schubert et à la symphonie ''La Grande''. Le thème forme l'ossature de l'Allegro vivace qui suit et le flux se densifie dans une construction savamment dosée, le développement faisant penser à certaines harmonies privilégiées par Richard Strauss.
Écrite en 1933, la Symphonie N°4 de Schmidt se ressent d'un contexte personnel tragique, la perte de sa fille. Ce sera le chant du cygne du musicien, à l'orchestre du moins. Peut-être l’œuvre signe-t-elle aussi la fin du genre de la grande symphonie en Autriche. Le mode introspectif, induit par ce que le musicien désigne comme un ''Requiem pour ma fille'', appelle encore une riche orchestration au fil de ses quatre mouvements joués enchaînés et dans une construction symétrique. Introduit par un solo de trompette, le premier mouvement voit s'installer un second thème très expressif de type hongrois, sous-tendu par une scansion lancinante de grosse caisse, dégageant un indéniable dramatisme. Le discours se complexifie jusqu'à l'émergence d'un solo de cor anglais annonçant une section lyrique qui s'élargit jusqu'à un climax. Cette section marquée Passionato possède le parfum d'une fin annoncée. De forme tripartite, l'Adagio fait s'enchaîner un solo mélodique de violoncelle s'élargissant à l'ensemble des violons et aux bois, puis une marche funèbre grandiose et enfin le retour du chant du violoncelle. Le Molto vivace est un moment de bonne humeur, bondissant comme celui de la troisième symphonie. Le finale reprend les éléments du Ier mouvement, dans un processus inversé. La douleur semble laisser place à quelque espoir, la tension refluer jusqu'à son point de départ pour s'évanouir dans le même solo de trompette.
Le coffret comporte encore l'Intermezzo extrait de l'opéra Notre-Dame (1914), mais préexistant à l'achèvement de celui-ci puisque datant de 1903. Le morceau, intercalé entre les scènes 2 et 3 du Ier acte, dresse un portrait de la jeune gitane Esmeralda, avec toute l'intensité que procure une orchestration extrêmement tendue.
Paavo Järvi et les forces du Radio Sinfonieorchester Frankfurt dont il fut directeur musical de 2006 à 2013, apportent leur expertise à cette musique aux sonorités d'une luxuriance qui peut conduire à la compacité dans ses passages les plus complexes. Le chef estonien sait garder la tête froide et éviter pareil écueil. La longue pratique par cette formation du grand répertoire romantique tardif est bien connue, de Bruckner ou de Mahler en particulier, sous la baguette d'Eliahu Inbal naguère et précisément de Järvi plus récemment. Leurs exécutions qui bénéficient de la spontanéité du live, montrent un travail extrêmement pointu de la petite harmonie et de l'ensemble des cordes somptueuses. Et un son se prêtant particulièrement bien à la saisie discographique.
Les enregistrements, pourtant effectués en concert entre 2013 et 2018 et dans deux salles différentes, l'auditorium de la radio et l'Alte Oper de Francfort, offrent une parfaite cohérence en termes de prise de son : une image large mais bien proportionnée avec un naturel étagement des plans.
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