Etat de grâce

AltaMusica.com
Gérard Mannoni
17/03/2011

Concert de l’Orchestre de Paris sous la direction de Paavo Järvi, avec la participation du pianiste Rafal Blechacz à la salle Pleyel, Paris.

Joseph Haydn (1732-1809)
Symphonie n° 88 en sol majeur
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour piano n° 4 en sol majeur op. 58
Rafal Blechacz, piano
César Franck (1822-1890)
Symphonie en ré mineur
Orchestre de Paris
direction : Paavo Järvi


Musiciens en cravate noire, l’Orchestre de Paris tenait à dédier les deux concerts de la semaine aux victimes du tremblement de terre du Japon, pays où il s’est si souvent rendu et où il doit partir en tournée en novembre prochain. Un hommage d’une haute qualité musicale que ce remarquable programme Haydn-Beethoven-Franck.


Pas facile d’éviter de se redire un peu quand il s’agit de parler de la prise en main de l’Orchestre de Paris par un nouveau directeur musical. Comme pour les présidents de la République, il y a toujours un temps appelé état de grâce où tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes musicaux possibles.

Et puis, souvent, par la suite, le ciel a tendance à s’assombrir. Pour l’instant donc, c’est l’idylle avec Paavo Järvi. Qu’on en juge : à la fin d’une somptueuse Symphonie en ré mineur de Franck, c’est tout l’orchestre qui a applaudi le chef en même temps que le public. Pas si fréquent, même si cela arrive aujourd’hui parfois à l’Opéra de Paris. Admiration partagée et très méritée, il faut le reconnaître.

Dès la Symphonie n° 88 de Haydn qui sert d’ouverture au programme, on est frappé par les couleurs de l’orchestre, par l’imagination du chef pour donner une vie intense à des pages qui sont rarement mises aussi bien en relief avec toutes leurs trouvailles d’écriture, leur dynamisme, leur imagination harmonique permanente. L’Allegro con spirito final est en particulier traité avec une verve épatante et un entrain aussi débridé que la rigueur de la forme le permet.

On attendait ensuite beaucoup du jeune Rafal Blechacz, qui finit d’ailleurs quand même par avoir vingt-cinq ans et commence à ne plus être vraiment un « jeune » pianiste. Le Quatrième Concerto de Beethoven convient bien à sa sensibilité et à la délicatesse de son toucher, encore que le piano n’ait pas vraiment permis à toutes ses qualités de s’épanouir.

De son un peu trop clair, sans beaucoup de chaleur, l’instrument ne rend que partiellement justice à toutes les intentions de l’interprète. Comme beaucoup d’instrumentistes de cette génération, Blechacz nous donne une lecture personnelle de Beethoven. Sans provocation, mais avec un esprit neuf, que l’on sent formé autant à l’école des maîtres qu’au contact d’une civilisation en totale mutation, il apporte une lumière, un regard qui surprennent par leur fraîcheur qui n’exclut pas du tout une vraie profondeur de pensée.

Il y a de la sensibilité, une bonne connaissance historique mais une sorte d’affirmation assez crâne d’appartenir à un siècle nouveau, une volonté d’être soi-même en assumant une émotivité contemporaine. On pense, dans la même veine, à ce que l’on a pu constater du travail de Renaud Capuçon et de Frank Braley sur les sonates pour piano et violon. Et puis le virtuose reste aussi brillant, aussi magique.

La seconde partie du concert est consacrée à la Symphonie en ré mineur de César Franck, page majeure de notre patrimoine musical et qui fait mentir ces esprits ironiques qui se plaisent à dire : « Les Français n’ont écrit qu’une seule symphonie et ils l’appellent Fantastique. »

Bien moins populaire, c’est vrai, que celle de Berlioz, la symphonie de Franck n’en a pas non plus les multiples perfections et attraits. Œuvre un peu intermédiaire dans une période très évolutive de l’histoire de la musique, elle déroute forcément par la coexistence qu’on y entend de références très académiques et d’idées nouvelles qui diffèrent pourtant des grandes tendances d’outre-Rhin initiées par Wagner et déjà Mahler.

Son ampleur, la clarté de sa thématique, les larges développements donnés à l’harmonie – celle de l’Orchestre de Paris s’y montre particulièrement brillante et efficace – s’imposent fortement grâce aussi au caractère très enlevé et parfaitement structuré de la direction d’un Paavo Järvi vraiment inspiré et à l’investissement de tout l’orchestre.

Grand succès public à la clé, tant pour la formation que pour son chef. Comme l’aurait dit Madame Laetizia : « Pourvou qué ça doure ! »

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