De Zarathoustra à Attila

altamusica.com
Yannick Millon
22/10/2014
Concert de l’Orchestre de Paris sous la direction de Paavo Järvi, avec la participation du pianiste Nicholas Angelich à la salle Pleyel, Paris.

© Matthias Bothor
Concert pour les cent-cinquante ans de la naissance de Richard Strauss à la salle Pleyel, où l’Orchestre de Paris se fait étincelant sous la baguette de son directeur musical Paavo Järvi, notamment dans un Zarathoustra de haut vol et une Suite du Chevalier à la rose montrant qu’un orchestre français peut faire du vrai rubato dans la valse viennoise.

L’Orchestre de Paris poursuit décidément son ascension vers l’excellence entamée pendant les années Eschenbach si l’on en juge par cette soirée consacrée au cent-cinquantenaire de la naissance de Richard Strauss auquel Paavo Järvi rendait hommage à travers trois pièces emblématiques.

La Burlesque d’abord, composition de jeunesse inégale dont l’intérêt tient tant à l’éclairage de l’interprétation. Récemment, Wilhem Latchoumia s’y était perdu au festival de Besançon, dans une approche trop lisztienne. On apprécie ici davantage l’exergue des influences brahmsiennes, malgré le pianisme souvent crispé de Nicholas Angelich, qui fait claquer son Steinway dans les cascades de traits chromatiques.

Vif, virtuose sans être impeccablement articulé, l’accompagnement orchestral cherche avant tout l’énergie et le souffle rhapsodique, valables mais auxquels on continue de préférer l’irrévérence et la satire en touches kaléidoscopiques et frappes chirurgicales annonciatrices de Till l’espiègle.

Il faut dire que la soirée s’était ouverte sur une superbe exécution d’Ainsi parlait Zarathoustra, d’une qualité de son qui confirme la stature internationale de l’Orchestre de Paris, riche d’un tapis de cordes à la très belle densité et d’interventions de l’harmonie d’une ampleur stupéfiante – les cuivres graves.

C’est que Järvi, au tactus très régulier mais d’une lenteur constamment habitée dans les deux premiers volets, privilégie des tutti cosmiques, cuivres à leur acmé, sens de l’écrasante grandeur germanique et jeune timbalier à faire trembler les murs de Pleyel, véritable bras droit du chef jusque dans les ruades fracassantes du Chant de la danse, et dont le plaisir de jouer se lit sur des lèvres qui miment la frappe de concert avec le geste.

Le patron de l’OP ferait d’ailleurs mentir la légende selon laquelle les orchestres français ne savent pas jouer pianissimo en attaquant la fugue de Von der Wissenschaft aux confins du silence, pâleur terrifiée des violoncelles et contrebasses rampantes à souhait, textures constamment arachnéennes.

On pardonnera d’autant plus des accords terminaux trop sonores et le violon solo inégal de Philippe Aïche, excellent dans le Chant du somnambule après de longues minutes à chercher sa justesse, face à ce Zarathoustra tellement plus passionnant que celui de Gustavo Dudamel il y a deux mois à Salzbourg.

Pour conclure ce programme plein d’éclat, par son énergie contagieuse, Järvi parvient à rendre acceptable la Suite d’orchestre du Chevalier à la rose (à ne pas confondre avec les deux suites de valses antérieures), sorte de synthèse des meilleurs moments de l’opéra augmentée d’une coda au goût douteux.

La bonne nouvelle, c’est qu’un orchestre français s’y illustre dans le déhanché typique de la musique viennoise, en inégalisant de manière idiomatique les deuxièmes temps de la valse, renvoyant le triste épisode de Willi Boskovsky dépité face à l’Orchestre national à l’histoire ancienne.

Et même si le rubato de l’Orchestre de Paris gagnera sans doute de la souplesse avec le temps, les prises de risque de Järvi, pulsations retardées, points d’arrêts et accélérations fulgurantes, sont suivies bon pied bon œil par un orchestre galvanisé, qui jubile dans la coda teutonique qui clôt l’ensemble, justifiant le qualificatif d’« Attila décadent de la musique » dont Romain Rolland avait affublé Strauss.

Le compositeur se vantait assez d’avoir payé sa somptueuse villa de Garmisch-Partenkirchen avec les royalties du Chevalier à la rose ; on imagine que le prix de la piscine l’a décidé aussi tard qu'en 1944 à infliger à la musique délicate du duo final cette conclusion boursouflée déclenchant sans coup férir des tonnerres d'applaudissements.

Salle Pleyel, Paris
Le 22/10/2014
Yannick MILLON

Concert de l’Orchestre de Paris sous la direction de Paavo Järvi, avec la participation du pianiste Nicholas Angelich à la salle Pleyel, Paris.
Richard Strauss (1864-1949)
Also sprach Zarathustra, op. 30 (1896)
Burleske en ré mineur (1890)
Nicholas Angelich, piano
Le Chevalier à la rose (1911), suite d’orchestre op. 59 (1944)
Orchestre de Paris
direction : Paavo Järvi

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