Paavo Järvi fait d’édifiants adieux à l’Orchestre de Paris après six ans de direction musicale avec la Symphonie n° 3 de Mahler


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bruno serrou
20 juin 2016

Paris. Philharmonie. Grande Salle. Samedi 18 juin 2016

Paavo Järvi. Photo : DR

Les six saisons passées par Paavo Järvi comme directeur musical de l’Orchestre de Paris se seront écoulées à la vitesse de la lumière. Le chef estonien a réussi la gageure de transformer complètement la phalange parisienne qui n’a plus rien désormais à envier aux plus grandes formations symphoniques internationales, jouant aujourd’hui dans la cour des grands. Six saisons et deux cent seize concerts après sa prise de fonctions, le 15 septembre 2010, sa prestation et la fusion immédiate du chef et de l’Orchestre de Paris se sont imposées dès les premières mesures du poème dansé La Péri de Paul Dukas suivi de la cantate Kullervo de Jean Sibelius, l’un des compositeurs favoris de Järvi. Il y avait longtemps que l’on n’avait vu les musiciens de la phalange parisienne aussi souriants et engagés dans l’exécution des œuvres programmées.
Ce bonheur de jouer ensemble n'a pas eu le temps de s'altérer. Le travail en profondeur de Paavo Järvi et de ses musiciens a cristallisé la virtuosité collective des seconds, qui est devenue souveraine, leurs sonorités polychromes, rondes, brûlantes et charnues. Cela bien avant le transfert de l’Orchestre de Paris à la Philharmonie, les progrès étant sensibles dès la Salle Pleyel, le déménagement n’ayant eu lieu qu’entre décembre 2014 et janvier 2015, Järvi et l’Orchestre de Paris donnant le concert inaugural les 14 et 15 janvier 2015.

Seul regret de cette belle collaboration, le cahier des charges qu’il s’était fixé en matière de création dans le texte-manifeste qu’il a publié dans le programme de salle de ce premier concert, où il écrivait entendre défendre « la pluralité des styles - avant-garde, minimalisme, spiritualisme -, sans exclusive, pourvu que nouveauté et qualité aillent de pair ». Il n’aura dirigé comme œuvre complexe et porteuse d’avenir que Notation V pour grand orchestre de Pierre Boulez, et encore une seule fois, lors du concert-hommage donné à la Philharmonie peu après la mort du compositeur. Quant aux autres œuvres créées sous sa direction, inutile d’y revenir dessus…
C’est sur un véritable feu d’artifice orchestral que Paavo Järvi a donné son dernier concert parisien vendredi. Une vraie fête sonore aura été l’exécution de la Troisième Symphonie en ré mineur de Gustav Mahler, que Järvi et l’Orchestre de Paris ont donné pour la seconde fois en six ans, édifiée sur une architecture d’une solidité d’airain et exaltant une indicible poésie. Cette Troisième Symphonie est la plus longue de toutes les partitions de Mahler, avec ses cent dix minutes réparties en six mouvements qui constituent en fait deux parties, le mouvement liminaire ayant la dimension et la structure d’une symphonie entière. Originellement conçue en sept mouvements (le septième sera intégré à la symphonie suivante), cette œuvre immense plonge dans la genèse de la vie terrestre, avec un morceau initial contant l’émergence de la vie qui éclot de la matière inerte, magma informe aux multiples ramifications et en constante évolution, et qui contient en filigrane la seconde partie entière, cette dernière évoluant par phases toujours plus haut, les fleurs, les animaux, l’Homme et les Anges, enfin l’Amour. Le royaume des esprits ne sera atteint que dans le finale de la Quatrième Symphonie, originellement pensé comme conclusion de cette Troisième. Du chaos initial jusqu’aux déchirements de l’Amour qui conclut la symphonie en apothéose sur des battements épanouis de quatre timbales comme autant de battements de deux cœurs humains épris l’un de l’autre et transcendés par l’émotion, l’évolution de l’œuvre est admirablement construite, même si les diverses séquences qui s’enchevêtrent dans le premier morceau sont parfois trop sèchement différenciés, sans pour autant paraître décousu, mais les élans insufflés par Järvi portent en germes l’extraordinaire expressivité des mouvements qui suivent, y compris du menuet, passage difficile à mettre en place, avec le risque de surligner les intentions du compositeur qui entendait ménager ici une plage de repos après les déchirements et les soubresauts qui précédaient. Le somptueux scherzo avec cor de postillon obligé dans le lointain tenu dans la coulisse par Frédéric Mellardi (la dernière fois c’était son alter ego Bruno Tomba qui le jouait) était magnifique d’onirisme, avec les bois gazouillant avec une fraîcheur communicative, tandis que la section de cors le soutenait de leurs somptueux pianissimi. L’émotion atteignait une première apnée dans le Misterioso du lied O Mensch sur un poème du Zarathoustrade Friedrich Nietzsche, avec un orchestre grondant dans le grave avec une infinie douceur, enveloppant la voix charnelle et tendre de la mezzo-soprano états-unienne Michelle DeYoung émergeant pianississimo entre les premiers pupitres de violons et le chef, et conduisant à la joie des Anges, incarnés par les voix du Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris venant du dessus de l’orchestre entourés du public, les femmes du Chœur de l’Orchestre de Paris étant disposées au même niveau que les musiciens, derrière la percussion. Enfin, le finale, où Järvi atteint le comble de l’émotion dans une plage confondante de beauté tour à tour contenue et exaltée, ménageant un immense crescendo qui conduit à la plénitude de l’Amour conquis de haute lutte, entre doutes et passions. L’Orchestre de Paris a atteint ce samedi pluvieux de fin de printemps les sommets où il reste à espérer que le successeur de Paavo Järvi, le jeune chef britannique Daniel Harding, saura le maintenir, voire le conforter.

Michelle DeYoung, Frédéric Mellardi, Philippe Aïche, Paavo Järvi, Lionel Sow et l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

En bis, Paavo Järvi a plus écouté que dirigé l’Orchestre de Paris dans une page de Jean Sibelius, après avoir reçu des mains de Bruno Hamard, directeur général de l’orchestre, une lettre manuscrite originale d’Hector Berlioz adressée à la cantatrice Pauline Viardot et datée de 1854. C’est sur une longue standing ovation que le concert s’est achevé.

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