Philharmonie de Paris : retour triomphal de Paavo Järvi avec l'Orchestre symphonique de la NHK Tokyo

diapasonmag.fr
Rémy Louis
7.03.2017


Voir et entendre Paavo Jarvi à la Philharmonie de Paris avec son nouvel orchestre, celui de la NHK Tokyo, suscitait un grand intérêt. L'énergie fuselée propre au chef imprègne le Concerto pour violon de Sibelius partagé avec Janine Jansen. A une réserve près, qu'on n'avait pas anticipée : l'échelle dynamique naît tellement aux confins du murmure (premières mesures) que l'orchestre n'est pas toujours parfaitement audible là où nous étions placés (premier balcon de face, en général excellent pour l'orchestre). Le timbre très présent et projeté de la soliste prend ainsi plusieurs fois l'ascendant sur celui des cordes. Aucun problème bien sûr dans les tuttis, où Järvi libère une énergie formidable.

Jansen est irrésistible, pour sa conduite d'archet, ses phrasés si agiles, son discours à la fois libre et parfaitement contrôlé. Et aussi cette spontanéité de l'inspiration, cette part de sensualité qu'elle met à toute chose : elles confèrent à l'œuvre une évidence classique, une lumière et une douceur évocatrices (Adagio di molto). L'articulation et la finesse rhétorique du Bach donné en bis nous font rêver qu'elle enregistre toutes les Sonates et Partitas pour violon seul. Les musiciens japonais ont nonobstant exposé dans Sibelius une conception orchestrale inspirée par la culture allemande. L'étoffe et le jeu creusé des contrebasses, la rondeur de l'admirable pupitre de cors, la couleur assez sombre du quatuor donnent quelques indices.

La Symphonie n° 10 de Chostakovitch les confirment ensuite. On est impressionné par l'extraordinaire discipline d'ensemble, pupitre par pupitre, par la réactivité fulgurante au geste impérieux du chef (la fantastique rapidité d'exécution de l'Allegro, course folle, mais souple, que ne freine aucune inertie). La concentration de l'expression, mais aussi du son lui-même, engendre une matité assez rare de nos jours, où les orchestres visent souvent le brillant. Cela correspond idéalement au geste tout en tension et en mordant de Järvi, qui nous ramène sans détour au contexte stalinien de la composition. Même les passages plus élégiaques (le début de l'Allegretto, idéalement dosé) distillent une menace impalpable, qui atteint son inévitable et fulgurant apogée dans les climax. Interprétation de fer et de feu, bloc sonore dense et serré sans jamais être fermé ni compact (les couleurs et les respirations des bois, des cuivres).

Andris Nelsons nous avait offert deux extraordinaires 10e avec le Concertgebouw d'Amsterdam , puis le Boston Symphony, au son plus opulent et « confortable ». Les musiciens de la NHK visent crudité et réalisme, se donnent avec la spontanéité radicale d'un orchestre de jeunes, et la maîtrise d'une formation d'expérience. Voilà un mariage indubitablement convaincant, dont la Valse triste de Sibelius donnée en bis, à la fois exigeante et éperdue (nuances, tempos), reconduit tous les caractères dans une réduction homothétique. Magnifique succès à l'issue, naturellement.

Paavo Järvi et l'Orchestre symphonique de la NHK Tokyo, Philharmonie de Paris, le 2 mars.

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