Paavo Järvi emmène la Tonhalle de Zürich dans un Tchaïkovski saisissant / Paavo Järvi takes the Tonhalle of Zürich in a striking Tchaikovsky
Pierre Carrive
30.01.2021
Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Symphonie N° 5 ; Francesca di Rimini. Orchestre de la Tonhalle de Zürich ; Paavo Järvi. 2019-2020. 74’00. Livret en allemand, en anglais et en français. 1 CD Alpha 659.
Après un album Messiaen salué d’un Joker, voici le deuxième enregistrement de l’Orchestre de la Tonhalle de Zürich dirigé par Paavo Järvi. Il l’avait annoncé, dans un entretien à Crescendo-Magazine, au moment de présenter sa première saison à la tête de la formation suisse : « Un autre thème central sera : les symphonies de Tchaïkovski. Nous allons les jouer et les enregistrer sur une saison. »
Eh bien voilà, c’est parti ! Le premier album est sorti. Et il est absolument superbe. Il contient la Cinquième Symphonie, la première de Tchaïkovski à avoir été jouée à Zurich (en 1895), et Francesca di Rimini, qui devait suivre quelques années plus tard (en 1901). C’est donc un choix qui s’inscrit dans l’histoire de cet orchestre, fondé il y a plus d’un siècle et demi, de la part de son tout nouveau directeur musical. À noter que, sur la grosse centaine d’albums qu’il a enregistrés, dans laquelle on trouve beaucoup de musique russe, c’est seulement la deuxième fois que le chef estonien se consacre à Tchaïkovski (après la Sixième Symphonie et Roméo et Juliette, avec l’Orchestre Symphonique de Cincinnati, en 2007, chez Telarc).
La boutade est célèbre : « Tchaïkovski a écrit trois symphonies : la Quatrième la Cinquième et la Sixième. » C’est un fait que les trois premières sont bien délaissées. Dans les trois suivantes, le compositeur a plus que largement donné de sa personne... Elles sont d’une subjectivité et d’une puissance émotionnelle que certains auditeurs peuvent trouver à la limite du supportable.
Des trois, la Cinquième est sans doute la moins immédiatement spectaculaire. Elle nous fait entendre un Tchaïkovski peut-être plus intime. C’est en tout cas ce que l’on ressent, profondément, à l’écoute de cette interprétation. Après une introduction Andanteimpressionnante d’angoisse intérieure, et qui expose le motif du destin qui parcourra toute la symphonie, l’Allegro con anima paraît presque féérique... avant d’être un drame noir et poignant, d’une intensité hallucinante, rendu supportable par quelques moments d’accalmie où du merveilleux reviendrait. Dans l’Andante cantabile, Paavo Järvi est saisissant d’introspection. Nous sommes loin de l’artiste maudit qui clame sa douleur à la face du monde. Certes nous entendons bien les questions existentielles. Elles peuvent même être déchirantes ; mais la sobriété des musiciens, quand ils interviennent individuellement, leur donne une certaine pudeur. C’est à nouveau un caractère rêveur qui nous touche dans la Valse, loin de toute paillette, de Vienne ou d'ailleurs ; et si c’est pour l’orchestre l’occasion de montrer sa virtuosité, chaque note reste expressive et sensible. Quant au finale, il consiste en un long Andante chaleureusement maestoso, qui s’enchaîne à un Allegro vivace libérateur. L’Orchestre de la Tonhalle y brille de tous ces feux ; mais Paavo Järvi parvient à en canaliser l’énergie pour la mettre toute entière au service de l’émotion, sans rien de superficiel. Nous la ressentons au plus profond de nous, et nous imaginons chaque musicien participer de tout son être à cette majestueuse acceptation du destin. Certes, nous ne nous y arrachons pas. La douleur est toujours présente. Mais nous restons du côté de la vie.
L’équilibre de l’orchestre, notamment entre les cuivres et les cordes, et l’esprit « musique de chambre » que Paavo Järvi parvient à instaurer avec cent musiciens, font que nous sommes captivés de la première à la dernière note. Et, avec cette Cinquième Symphonie à la fois implacable et galvanisante, nous faisons un bouleversant voyage en nous-mêmes.
La « fantaisie symphonique » Francesca da Rimini a aussi pour thème le destin, mais cette fois du côté inéluctable et tragique. Le sujet vient du cinquième chant de L'Enfer de Dante, qui raconte comment un mari finit par poignarder sa femme et son frère, devenus amants. La musique est impressionnante. La réussite orchestrale est tout aussi convaincante. Cet Orchestre de la Tonhalle de Zürich a décidément trouvé en Paavo Järvi un chef qui lui permet de s’exprimer. Mais cette pièce, descriptive, est plus extérieure que celle qui précède. Si l’orchestre y est tout aussi épatant, et la direction tout aussi admirable, alternant terreur inexorable et passion amoureuse, nous sommes sans doute moins chamboulés qu’avec cette Cinquième Symphonie réellement exceptionnelle.
Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10
https://www.crescendo-magazine.be/paavo-jarvi-emmene-la-tonhalle-de-zurich-dans-un-tchaikovski-saisissant/
After an album Messiaen hailed by a Joker, here is the second recording of the Zurich Tonhalle Orchestra conducted by Paavo Järvi. He had announced it, in a interview at Crescendo-Magazine, when presenting his first season at the head of the Swiss group: “Another central theme will be: Tchaikovsky’s symphonies. We’re going to play them and record them over a season. “
Well, here we go! The first album is out. And he is absolutely superb. It contains the Fifth Symphony, the first by Tchaikovsky to be performed in Zurich (in 1895), and Francesca of Rimini, which was to follow a few years later (in 1901). It is therefore a choice that is part of the history of this orchestra, founded over a century and a half ago, on the part of its brand new musical director. Note that, out of the over 100 albums he has recorded, in which there is a lot of Russian music, this is only the second time that the Estonian conductor has devoted himself to Tchaikovsky (after the Sixth Symphony and Romeo and Juliet, with the Cincinnati Symphony Orchestra, in 2007, at Telarc).
The joke is famous: “Tchaikovsky wrote three symphonies: the Fourth the Fifth and the Sixth. It is a fact that the first three are well neglected. In the following three, the composer gave more than a lot of his person … They are of a subjectivity and an emotional power that some listeners can find at the limit of the bearable.
Of the three, the Fifth is arguably the least immediately spectacular. It makes us hear a perhaps more intimate Tchaikovsky. In any case, this is what one feels, deeply, listening to this interpretation. After an introduction Andanteimpressive inner anguish, and which exposes the motif of fate that will run through the entire symphony, theAllegro con anima seems almost magical … before being a dark and poignant drama, of hallucinating intensity, made bearable by a few moments of calm where the marvelous would return. In L’Andante cantabile, Paavo Järvi is gripping introspection. We are far from the accursed artist who proclaims his pain in the face of the world. Certainly we understand existential questions well. They can even be heartbreaking; but the sobriety of the musicians, when they intervene individually, gives them a certain modesty. It is again a dreamy character that touches us in the False, far from any glitter, from Vienna or elsewhere; and if it is for the orchestra the opportunity to show its virtuosity, each note remains expressive and sensitive. As for the final, it consists of a long Andante warmly maestoso, which is linked to a Cheerful lively liberator. The Orchestra of the Tonhalle shines there with all these fires; but Paavo Järvi manages to channel its energy to put it entirely at the service of emotion, without anything superficial. We feel it deep within us, and we imagine each musician participating with all their being in this majestic acceptance of destiny. Of course, we are not getting away from it. The pain is still there. But we stay on the side of life.
The balance of the orchestra, especially between the brass and the strings, and the “chamber music” spirit that Paavo Järvi manages to establish with a hundred musicians, make us captivated from the first to the last note. And, with this Fifth Symphony both relentless and galvanizing, we take an overwhelming journey within ourselves.
The “symphonic fantasy” Francesca from Rimini also has fate as its theme, but this time on the inevitable and tragic side. The subject comes from the fifth song of Hell of Dante, who tells how a husband ends up stabbing his wife and brother, who have become lovers. The music is awesome. Equally convincing is the orchestral success. This Orchestra of the Tonhalle of Zurich has definitely found in Paavo Järvi a conductor who allows him to express himself. But this descriptive piece is more exterior than the one above. If the orchestra is just as amazing there, and the direction just as admirable, alternating inexorable terror and amorous passion, we are undoubtedly less upset than with this Fifth Symphony truly exceptional.
Sound: 9 – Libretto: 9 – Repertory: 10 – Interpretation: 10
https://www.archyde.com/paavo-jarvi-takes-the-tonhalle-of-zurich-in-a-striking-tchaikovsky/
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