Paavo Järvi : «L'autorité ne m'intéresse pas»
Paavo Järvi : «L'autorité ne m'intéresse pas»
Par Christian Merlin
Le Figaro, 28 novembre 2006
Le chef estonien dirige mercredi le Philharmonique de Vienne à Paris.
LE FIGARO. – Entrez-vous beaucoup dans le détail en répétition ?
Paavo JÄRVI. – Le travail de détail est important, il aide l'orchestre à atteindre un niveau confortable, néanmoins on risque de perdre la grande ligne. Quand vous êtes un jeune chef, vous voulez tout fixer noir sur blanc. Aujourd'hui, je laisse beaucoup plus jouer car j'ai appris qu'il ne faut pas sous-estimer l'intelligence des musiciens. Je commence toujours la première répétition en dirigeant l'oeuvre en entier, même si elle est longue, sans interrompre l'orchestre. Dès la deuxième lecture, vous vous rendez compte que les instrumentistes ont corrigé d'eux-mêmes nombre d'erreurs, sans intervention de ma part.
Mais contrôle et efficacité ne sont-ils pas essentiels dans votre travail ? L'efficacité est séduisante mais peut être trompeuse. Certains orchestres virtuoses travaillent très vite : tout est en place dès la première répétition. Mais ils ne vont pas au-delà. Je trouve plus intéressants les orchestres qui travaillent lentement : on a le temps d'approfondir et le résultat est meilleur. Quant au contrôle exercé par le chef, il est purement manuel. C'est celui du bras, vous l'avez ou ne l'avez pas. Sinon, l'autorité ne m'intéresse pas. Je suis un compagnon des musiciens et non un général d'armée. Si les instrumentistes me suivent ce n'est pas parce que j'ai du pouvoir, mais parce qu'ils sont convaincus que je suis un musicien.
C'est pourquoi vous ne prenez pas la pose ?
PJ: Il peut être agréable de se prendre pour un artiste quand on débute, mais on fait vite le tour de cette vanité. Au début d'une répétition, je dis seulement «bonjour, commençons» et le lien s'établit par la musique. Mais c'est un lien extrêmement fort et sensitif. Je n'atteindrais pas un tel degré d'intimité avec les musiciens en conversant avec eux. Quand je vois une jeune musicienne transfigurée par la musique qu'elle joue sous ma direction, croyez-moi, ce peut être très érotique.
Vous donnez pourtant l'impression d'un chef sévère.
PJ: Question de personnalité. Leonard Bernstein est mon héros, mon dieu, avoir étudié avec lui a changé ma vie. Mais ce serait malhonnête de ma part d'essayer de l'imiter. Si je me mettais à danser au pupitre, ça sonnerait faux. Je suis d'Europe du Nord ! En revanche, il m'a appris une chose essentielle : la seule raison valable de faire de la musique, c'est l'émotion.
Sur le site Internet de votre orchestre de Cincinatti figurent aussi les mauvaises critiques, c'est rare !
PJ: C'est une question d'honnêteté. À long terme, vous gagnez toujours plus à admettre vos faiblesses qu'à les masquer. Et puis je suis mon premier critique : si je ne suis pas content de moi à la fin d'un concert, même les ovations du public ne me feront pas plaisir.
Qu'attendez-vous de votre premier contact avec le Philharmonique de Vienne ?
PJ: J'ai grandi avec les enregistrements de Furtwängler et Bruno Walter. À la maison, nous étions les seuls en Estonie à posséder l'intégrale des symphonies de Mozart par Karl Böhm. Mon père, le chef d'orchestre Neeme Järvi, rapportait ces disques de ses tournées à l'Ouest. La recherche d'authenticité des orchestres baroques m'a énormément apporté et j'en tiens compte, mais quand je pense au début de la 9e de Schubert que je dirigerai mercredi soir, je pense de plus en plus que Furtwängler avait raison. Je sais ce que je veux dans cette oeuvre, le Philharmonique de Vienne sait comment il la joue d'habitude : ce doit être du donnant-donnant, j'apprends moi-même beaucoup des orchestres que je dirige. Je ferai un pas dans leur direction, j'espère qu'ils en feront un dans la mienne. Les diriger sera une expérience, elle marchera ou non. Elle marchera si la relation se fonde sur la compréhension musicale. Comme avec tout orchestre.
Théâtre des Champs-Élysées, 29 novembre à 20 heures. Rés. : 01 49 52 50 50.
Par Christian Merlin
Le Figaro, 28 novembre 2006
Le chef estonien dirige mercredi le Philharmonique de Vienne à Paris.
LE FIGARO. – Entrez-vous beaucoup dans le détail en répétition ?
Paavo JÄRVI. – Le travail de détail est important, il aide l'orchestre à atteindre un niveau confortable, néanmoins on risque de perdre la grande ligne. Quand vous êtes un jeune chef, vous voulez tout fixer noir sur blanc. Aujourd'hui, je laisse beaucoup plus jouer car j'ai appris qu'il ne faut pas sous-estimer l'intelligence des musiciens. Je commence toujours la première répétition en dirigeant l'oeuvre en entier, même si elle est longue, sans interrompre l'orchestre. Dès la deuxième lecture, vous vous rendez compte que les instrumentistes ont corrigé d'eux-mêmes nombre d'erreurs, sans intervention de ma part.
Mais contrôle et efficacité ne sont-ils pas essentiels dans votre travail ? L'efficacité est séduisante mais peut être trompeuse. Certains orchestres virtuoses travaillent très vite : tout est en place dès la première répétition. Mais ils ne vont pas au-delà. Je trouve plus intéressants les orchestres qui travaillent lentement : on a le temps d'approfondir et le résultat est meilleur. Quant au contrôle exercé par le chef, il est purement manuel. C'est celui du bras, vous l'avez ou ne l'avez pas. Sinon, l'autorité ne m'intéresse pas. Je suis un compagnon des musiciens et non un général d'armée. Si les instrumentistes me suivent ce n'est pas parce que j'ai du pouvoir, mais parce qu'ils sont convaincus que je suis un musicien.
C'est pourquoi vous ne prenez pas la pose ?
PJ: Il peut être agréable de se prendre pour un artiste quand on débute, mais on fait vite le tour de cette vanité. Au début d'une répétition, je dis seulement «bonjour, commençons» et le lien s'établit par la musique. Mais c'est un lien extrêmement fort et sensitif. Je n'atteindrais pas un tel degré d'intimité avec les musiciens en conversant avec eux. Quand je vois une jeune musicienne transfigurée par la musique qu'elle joue sous ma direction, croyez-moi, ce peut être très érotique.
Vous donnez pourtant l'impression d'un chef sévère.
PJ: Question de personnalité. Leonard Bernstein est mon héros, mon dieu, avoir étudié avec lui a changé ma vie. Mais ce serait malhonnête de ma part d'essayer de l'imiter. Si je me mettais à danser au pupitre, ça sonnerait faux. Je suis d'Europe du Nord ! En revanche, il m'a appris une chose essentielle : la seule raison valable de faire de la musique, c'est l'émotion.
Sur le site Internet de votre orchestre de Cincinatti figurent aussi les mauvaises critiques, c'est rare !
PJ: C'est une question d'honnêteté. À long terme, vous gagnez toujours plus à admettre vos faiblesses qu'à les masquer. Et puis je suis mon premier critique : si je ne suis pas content de moi à la fin d'un concert, même les ovations du public ne me feront pas plaisir.
Qu'attendez-vous de votre premier contact avec le Philharmonique de Vienne ?
PJ: J'ai grandi avec les enregistrements de Furtwängler et Bruno Walter. À la maison, nous étions les seuls en Estonie à posséder l'intégrale des symphonies de Mozart par Karl Böhm. Mon père, le chef d'orchestre Neeme Järvi, rapportait ces disques de ses tournées à l'Ouest. La recherche d'authenticité des orchestres baroques m'a énormément apporté et j'en tiens compte, mais quand je pense au début de la 9e de Schubert que je dirigerai mercredi soir, je pense de plus en plus que Furtwängler avait raison. Je sais ce que je veux dans cette oeuvre, le Philharmonique de Vienne sait comment il la joue d'habitude : ce doit être du donnant-donnant, j'apprends moi-même beaucoup des orchestres que je dirige. Je ferai un pas dans leur direction, j'espère qu'ils en feront un dans la mienne. Les diriger sera une expérience, elle marchera ou non. Elle marchera si la relation se fonde sur la compréhension musicale. Comme avec tout orchestre.
Théâtre des Champs-Élysées, 29 novembre à 20 heures. Rés. : 01 49 52 50 50.
Comments