Un très jeune et vivant centenaire, celui de Lutoslawski à la Salle Pleyel

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André Tubeuf
28.01.2013

Witold Lutoslawski aurait cent ans ce 25 janvier. Krystian Zimerman n’est pas seulement celui qui le premier a joué son unique concerto pour piano en création mondiale à Salzbourg à l’été 1988 puis à l’automne à l’Orchestre de Paris, les deux fois sous la direction du compositeur lui même. Il est d’abord celui pour qui Lutoslawski a écrit ce chef-d’œuvre, ultime aboutissement pour lui qui s’est livré si peu ; son unique concerto pour piano, assez assurément le plus essentiel de la seconde moitié du siècle : celui qui, resté jalousement classique par l’unité de l’ensemble, la découpe, la mise en valeur amicale (amoureuse) des ressources et des splendeurs de l’orchestre comme celles du piano soliste, ose éloquemment s’intégrer à tout ce qui dans la musique s’est réussi de nouveau et d’explorateur, jusqu’à l’aléatoire. Et ce qui en résulte est liberté et invention, une inventive et très allante liberté ; une demi-heure de fantaisie adulte, en amont de laquelle il y a eu dix désirs de concerto essayés et rejetés, plus une dernière longue temporisation.
W. Lutoslawski (L. Kowalski / Wikimedia Commons)
W. Lutoslawski (L. Kowalski / Wikimedia Commons)

Treize ans en effet ont passé avant l’éclosion de l’œuvre, depuis ce concours de Varsovie 1975 où Lutoslawski qui siégeait au jury rencontrait Krystian Zimerman, jeune lion triomphant, et se disait qu’avec celui-ci au piano il pouvait réaliser son idéal. La concentration, mais la facilité aussi, insensée, avec lesquelles Zimerman un quart de siècle plus tard (et l’auréole juvénile de ses cheveux blonds devenue crinière blanche) avale la partie pianistique de ce concerto, semblant n’en faire qu’une bouchée, laissent simplement sidéré. L’orchestre donne ce qui semble un simple bourdonnement d’insectes vibrants ? Ses doigts y répondent avec un tact, un délié, des nuances de dynamique et presque de qualité de vibration qui feraient croire à une palette métallisée d’un nouveau type. Pour appliquer tel accord, la force qu’il met en jeu paraît herculéenne, mais contrôlée pourtant. La vélocité ici est exactement prestidigitation, tant chaque son semble exprimé pour elle-même, dans sa plénitude de sens. Sans vrai cantabile, c’est comme un incessant lyrisme de formule neuve qui soulève et conduit de bout en bout ce concerto inspiré où on se dit parfois qu’erre un Chopin, ou peut être un Liszt, suffoqué par un arrière parfum de Debussy, mis hors de lui par le monde de métal du Mandarin de Bartók : mais qui, pas moins, reste un Chopin, ou un Liszt. De toute la musique du siècle, la vivante, se gorge ce Lutoslawski qui en marque la fin, et qui la montre orgueilleusement entreprenante, ayant vaincu ses blocages, ouvert ses impasses. Quelle leçon !

Mené avec toujours le même calme sans gestes, élégamment désinvolte (mais combien vigilant) de Paavo Järvi, l’orchestre réalisait avec son stupéfiant soliste une osmose plus d’une fois magique, chambriste presque par l’échange de sonorité de l’un à l’autre. Il avait fait valoir dans une superbe Ouverture de Genoveva ses coloris romantiques plus typés, l’ampleur d’étoffe dans l’expansion lyrique de la vision sonore. Toute simple, narrative, comme joueuse, sera en fin de programme une très superbe Pastorale, qui ne cherche pas à prouver, ni à changer la donne, mais dont tout le détail instrumental est exquis, lumineux, comme heureux de s’épanouir en souplesse. Même liberté chez Lutoslawski et chez Beethoven. C’est dire la mise au point, derrière !

Salle Pleyel, le 24 janvier 2013
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