Paavo Järvi et Khatia Buniatishvili dans un programme contrasté à la Philharmonie de Paris

ResMusica
Patrick Jézéquel
29.02.2020


Pour ce concert, trois pages symphoniques composent un menu complet et roboratif, parfait pour une veillée hivernale. Avec, aux fourneaux, deux grandes vedettes : Khatia Buniatishvili et Paavo Järvi. Sans oublier le très exact l’Orchestre symphonique de la NHK.

La première œuvre au programme invite à une croisière entre l’Europe et le Japon. Son titre, How Slow the Wind (1991), est en effet tiré par Toru Takemitsu d’un poème d’Emily Dickinson ayant pour cadre l’océan. Cela n’est guère étonnant de la part d’un compositeur très inspiré par Debussy et qui, la même année, dans Quotation of dreams, cite plusieurs fois La Mer, comme une sorte de mantra. Ici aussi, le motif apaisé de sept sons qui ouvre la pièce revient régulièrement, de manière entêtante, passant d’un pupitre à l’autre et chaque fois modifié mais toujours identifiable, telle une vague. Musique raffinée, apaisée et tout à fait maîtrisée par la phalange nippone, qui sait être présente ou devenir transparente dans une palette restreinte, où percent parfois, en arrière-fond, quelques harmonies orientales. L’assurance naturelle de Paavo Järvi, sa décontraction apparente, ne mettent que mieux en évidence la cohérence de son projet. Le plaisir de l’auditeur est extrême.

Changement d’époque, d’esthétique et d’atmosphère avec le Concerto pour piano et orchestre n° 3 (1803) de Ludwig van Beethoven. Est-il vraiment japonais cet orchestre dont les trompettes sont à palettes et allemands les archets de contrebasse ? Quoi qu’il en soit, ce qui saute aux oreilles, c’est sa rondeur ainsi que sa ductilité sous la baguette du chef. Avant même de poser les mains sur le clavier, Khatia Buniatishvili vibre aux accents virils de cet ensemble de premier ordre. Et puis elle réexpose le premier thème avec une fougue digne de Martha Argerich. Mais la comparaison s’arrête là, car la connaissance parfaite de la partition ne cache pas une certaine superficialité ni quelques imperfections çà et là, en particulier des fins de phrases à peine audibles. Ici encore, la pensée de Järvi innerve l’œuvre, ce qui se sent notamment dans le parfait équilibre entre le piano et la masse sonore de l’orchestre. La soliste est à son meilleur dans le dernier mouvement, le plus énergique des trois.

Après l’entracte vient la Symphonie n° 7 en mi majeur (1883) d’Anton Bruckner. Cette fois encore, il suffit de fermer les yeux pour entendre un orchestre allemand, si habile à passer d’un climat à l’autre, tel un randonneur alpin tour à tour trempé par la pluie, séché au soleil ou disparaissant dans la brume. La preuve ? La présence quasi physique du fantôme Wagner, qui hante cette musique en forme d’hommage funèbre. Œuvre magnifique, qui peut paraître un peu longue, principalement à cause du quatrième mouvement, plus abstrait et plus bavard, comme s’il cherchait une issue à son propos. L’orchestre répond parfaitement au maestro, rayonnant d’intelligence.

Un ­beau moment, sans faute de goût aucune, et servi dans un espace hors pair : la Grande Salle Pierre-Boulez.

Comments

Popular Posts