Question de tempérament

 Alta Musica

Thomas DeSchamps

7.10.2022



En reprenant trois œuvres jouées dont deux mises au répertoire sous sa mandature (2010-2016), Paavo Järvi offre matière à constater combien son art devient fluide et sa relation aux musiciens empreinte de confiance mutuelle. Alors qu’une soliste crispée freine le Concerto pour violon de Tchaïkovski, les nordiques Grieg et Nielsen triomphent.




Tandis qu’une rétrospective consacrée au peintre Edvard Munch vient de commencer au musée d’Orsay, Paavo Järvi a choisi la musique d’un autre Norvégien illustre, un autre Edvard, Grieg celui-là, pour débuter le programme de sa visite annuelle à l’Orchestre de Paris. Deux mondes souvent très colorés pour deux expressions pourtant assez différentes.


La musique de scène composée par Grieg pour le drame Peer Gynt d’Ibsen trouve dans sa réorchestration pour une diffusion déconnectée du théâtre une matière plus lisse et soyeuse. Il faut toute l’habilité de Paavo Järvi pour amener avec un succès confondant les musiciens de l’Orchestre de Paris à prendre une sonorité d’ensemble un rien plus rugueuse que d’ordinaire. Dès le Prélude, le ton est donné dans un mélange de naïveté et de rusticité qui dresse un décor saisissant, tandis que La mort d’Aase touche au cœur sans mièvrerie. Pour l’évocation truculente de Dans l’antre du roi de la montagne, Järvi met une dose de distance ironique. Retour à des couleurs somptueuses pour le Concerto pour violon de Tchaïkovski.


On admire particulièrement l’accompagnement du chef estonien, car la toute jeune María Dueñas, auréolée d’un Premier prix au concours Menuhin de 2021, semble enfermée dans un monde intérieur. Écrasant son archet au point de produire quantité de crin à ses pieds, elle produit invariablement un son intense et très tendu à la séduction relative. Ne répondant jamais aux sollicitations de l’orchestre pourtant nombreuses dans cette partition, elle a aussi une très fâcheuse tendance à ne pas garder le tempo, voire à ralentir. Ce tempérament paraît très éloigné du bonheur de faire de la musique ensemble. Paavo Järvi et l’Orchestre de Paris recouvrent une totale liberté pour la Deuxième Symphonie de Carl Nielsen.


Cette œuvre composite n’est pas des plus facile. Fausse musique à programme évoquant de loin quatre tempéraments bien distincts, elle procède du collage et de l’entrechoc de tonalités, rythmes et couleurs souvent opposés. Il faut tout le talent de Järvi pour unifier cette première manifestation de l’originalité indéniable du compositeur danois. Il y met un humour pince-sans-rire tout à fait réjouissant avec la complicité d’un orchestre particulièrement délié et virtuose. Cette symphonie expressive jointe aux pièces de Grieg a été donnée le lendemain dans la grande nef du musée d’Orsay à quelques mètres des toiles de Munch.


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