L'Orchestre de Paris au Musée d'Orsay : Les Quatre Tempéraments de Paavo Järvi

 BachTrack

Erwan Gentric

3.10.2022


Les sculptures de l’allée centrale du Musée d’Orsay : voilà un beau cénacle autour de Paavo Järvi, pour ce concert exceptionnel à la tête de l’Orchestre de Paris. Éloigné pour l’occasion de la Porte de Pantin, c’est dans la nef, sous la grande horloge, que le chef estonien nous invite à ce voyage scandinave à travers deux de ses monuments : Grieg avec le Prélude et la Première Suite de Peer Gynt, ainsi que la Deuxième Symphonie dite « Les Quatre Tempéraments » de Carl Nielsen. Cette aventure norroise, débordante de ferveur, est une vraie réussite qu’il serait bien mal à propos de juger à l’aune de son acoustique de hall de gare.




Par un geste ferme et assuré, Paavo Järvi débride l’Orchestre de Paris dans un Allegro con brio cravaché, ouverture à l’épopée de Peer Gynt – d’où sont tirées les scènes de la Première Suite. Ces accords du tutti, en familiarisant l’oreille à l’acoustique réverbérée de cette vaste nef, créent un écrin de velours aux solistes du Poco andante, au premier rang desquels un hautbois et une clarinette aux phrasés enchanteurs. Mais c’est le magnifique alto qui se distingue dans ce Prélude par son solo particulièrement enlevé et qui, prêtant son instrument aux couleurs des danses norvégiennes, s’amuse à battre la mesure de son talon contre l’estrade, dans un folklore absolument truculent !





Cette introduction juste et frémissante laisse place à l’agreste alternance de la flûte et du hautbois, et Au Matin oriental de la Première Suite. Le tempo allant mais sans précipitation plonge l’auditeur dans la dimension à la fois narrative et lyrique (grâce à la surexposition des solos) de la partition. Cette combinaison du discours et de la virtuosité, propre à apporter du relief à ces extraits de l’œuvre sans mise en scène, est si bien amenée dans le premier numéro que les deux suivants souffrent de la comparaison. La Mort d’Åase se trouve gâchée par un tempo rapide peu propice au recueillement et par un fondu des timbres qui, rendu excessif par l’acoustique, empêche toute distinction des pupitres de cordes, notamment des violoncelles et des contrebasses. Malgré le faux départ des violons et les premières mesures trop retenues de la Danse d’Anitra, les altos survoltés et les pizzicati mordants apportent la couleur et le charme nécessaire – quoique pas assez grinçant – à cette fille du désert. Dans le finale, la grande nef du Musée d’Orsay fait idéalement office de caverne : réverbérations, échos, résonances sont autant d’effets propices à transporter l’auditeur directement Dans l’antre du roi de la montagne et de ses perfides créatures. Portée par une gradation à la fois du rythme, des registres et des nuances, cette course effrénée vient conclure de façon magistrale cette Première Suite de Peer Gynt.





Tout aussi magistral dans l’interprétation qu’en donne Paavo Järvi, le pastiche de la théorie des humeurs hippocratiques qu’est la Deuxième Symphonie de Carl Nielsen – philosophiquement sous-titrée « Les Quatre Tempéraments » par le compositeur danois – commence avec l’Allegro collerico du bilieux. Ce large mouvement est l’occasion pour le chef et l’orchestre de faire feu de tout bois, dans une interprétation sans retenue, où les grondements du trombone semblent transformer la grande nef en fonderie d’acier, avant d’asséner au public, dans une conclusion cathartique, une volée de gifles redoublées par la réverbération. À l’inverse, le second mouvement saisit par son confortable et flegmatique Allegro, auquel des cordes légères et dansantes insufflent la douceur d’une matinée de printemps. À cette rêverie, il manque toutefois des pizzicati de contrebasses plus ronflants, garantie de l’ironie pantouflarde et cataleptique d’un Oblomov, que deux coups de timbales humoristiques viendraient sortir de sa léthargie.

Le chef navigue en revanche avec adresse entre les différents pièges tendus par l’atrabilaire troisième mouvement, certes mélancolique, mais dont la part d’absurdité reste saillante dans les plaintes des hanches doubles. Véritable tourbillon symphonique, le mouvement final exprime le tempérament sanguin, l’humeur vive et dansante, parfaitement rendue par Paavo Järvi et un Orchestre de Paris extatique qui disperse ses cuivres aux quatre vents, dans une agréable cacophonie acoustique rythmée par la pétarade des timbales. Saluons donc cette production affriolante, que la rareté ne rend que plus désirable.


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