CONCERT REVIEW: Le plein bonheur viennois
Photo: Sheila Rock
Le plein bonheur viennois
Par Yannick Millon
AltaMusica.com, 1 decembre 2006
C’est déjà Noël au Théâtre des Champs-Élysées. Le temps d’un programme cent pour cent viennois, la battue incandescente de Paavo Järvi fait feu de tout bois dans des Mozart, Haydn et Schubert d’anthologie, génialement servis par la griffe inimitable des Wiener Philharmoniker. Deux heures d’un bonheur sans nuages.
Voilà ce qu’on peut qualifier de débuts réussis. Pour son premier concert à la tête de la plus prestigieuse phalange autrichienne, le fulgurant Paavo Järvi aura frappé un grand coup. Sur le papier, on pouvait légitimement s’interroger sur l’adéquation entre cette baguette volontaire et le classicisme viennois, surtout à la tête d’une formation aux sonorités aussi rondes et ductiles.
Il aura fallu au chef estonien moins des deux accords initiaux de l’ouverture de la Flûte enchantée pour mettre tout le monde d’accord. À Mozart, il apporte vigueur, sens de l’équilibre, et surtout un détaché impeccable, un bouillonnement intérieur qui ne souffrent aucune réserve. Et déjà on peut se pâmer devant les sonorités des Viennois : ces timbales en peau, cette harmonie digne d’un orchestre à l’ancienne, ce tapis de cordes lumineux et qui joue avec tout l’archet.
Vient ensuite la 104e symphonie de Haydn, où se confirme le petit quelque chose de George Szell entrevu dans Mozart, dans cette battue à la rythmique imperturbable, aux contours très nets, avec la même dimension pince-sans-rire qui fait mouche dans les touches d’esprit du compositeur, la même pointe d’ironie caustique mais aussi les mêmes attaques incisives. Sans dureté aucune, Järvi défend un Haydn motorique, à la pointe sèche, dont la mesure ne bronche pas.
Après l’entracte, les soi-disant longueurs de la Grande symphonie de Schubert filent comme le vent, au gré d’une direction tout de flamme, d’une rigueur ne sombrant jamais dans la raideur. La sonorité de rêve des cors viennois ouvre tout l’espace nécessaire au reste de l’orchestre dans le portique introductif, relayée par ce hautbois coloré, pincé et très timbré qu’on n’entend qu’au sein des Wiener. Mais le luxe suprême, ce sont ces cordes denses, charnues et profondes, soulevées par la fièvre de la battue, qui se donnent sans jamais s’économiser, terminant dans le Finale sur des do graves martelés bien à la corde et raclant admirablement.
Dans la mouvance toscaninienne
Pour reprendre un vieil antagonisme, on est ici dans le sillon des toscaniniens, certainement par des furtwängleriens, de par cette rectitude rythmique imperturbable, sans ralentis dans les transitions, cet Andante très dramatisé, mais aussi ce feu, cette tension continue dans les volets extrêmes. Quel plaisir de voir ainsi couplée l’énergie d’un interprète à poigne avec les caractéristiques habituelles des Wiener Philharmoniker, dans une interprétation engagée, presque militante, loin d’un confort charmeur en soi mais souvent synonyme de routine, de ronron inoffensif !
En bis, une Valse triste de Sibelius aux nuances infinitésimales et à l’emballement central frénétique confirme la réussite de cette rencontre au départ improbable, et sonne comme un petit cadeau de Noël supplémentaire dans une soirée déjà saluée par des cris d’enthousiasme à l’issue du programme officiel.
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le 29/11/2006
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