De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace...
ConcertoNet.com
Sebastien Gauthier
13 octobre 2011
Il est fort dommage que le public n’envahisse les salles de concert que lorsque la programmation affiche un tube du répertoire alors que des œuvres plus confidentielles méritent tout autant une écoute attentive et curieuse. Louons donc l’audace de Paavo Järvi qui, une fois encore, est sorti des sentiers battus en choisissant de programmer, outre un des plus célèbres concertos pour violon et orchestre qui soit, deux symphonies qui faisaient ce soir leur entrée au répertoire de l’Orchestre de Paris.
La diffusion de la musique d’Eduard Tubin (1905-1982) demeure encore très confidentielle. Outre plusieurs enregistrements publiés chez Bis, Järvi père avait tout de même pu donner au public parisien, déjà à la tête de l’Orchestre de Paris, sa Cinquième Symphonie. Quant à Järvi fils, il fréquente également Tubin depuis longtemps, dont il a d’ailleurs également enregistré la Cinquième à la tête de l’Orchestre symphonique de Cincinatti (Telarc) et la Onzième (1982) avec l’Orchestre royal philharmonique de Stockholm (Virgin). C’est de nouveau cette symphonie que Paavo Järvi avait choisie ce soir. Débutant par un important solo de timbales (saluons à cette occasion la prestation de Frédéric Macarez qui aura été grandement sollicité au fil de la soirée), ce mouvement unique Allegro vivace, con spirito, complété en 1987 par le compositeur Kaljo Raid à la demande de Neeme Järvi, utilise avec emphase les grandes masses orchestrales et n’offre sans doute pas la meilleure illustration du talent du compositeur estonien. On pense à «Mars» (Les Planètes de Holst) ou à une quelconque musique de film hollywoodien mais les parties de cuivres, de cors notamment, peinent à captiver, la partition restant trop à la surface des choses.
Tout autre est évidemment le Concerto pour violon de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) dont la renommée n’est plus à démontrer. Fines lunettes et cheveux longs, le prodige Leonidas Kavakos s’avance sur scène avec un grand sourire il faut dire que le vainqueur des concours Sibelius (1985) et Paganini (1988) a peu à craindre des difficultés techniques de cette partition. Si le jeu du soliste s’avère très propre dans le premier mouvement, Allegro moderato (pris d’ailleurs à une allure très mesurée par Järvi), on s’étonne de son peu d’implication: les notes sont jouées mais la passion, l’engagement, la ferveur sont absents sauf dans la cadence où le jeu s’anime enfin. Le deuxième mouvement (Canzonetta. Andante) est plus convaincant. Epaulé par une excellente petite harmonie (Philippe Berrod à la clarinette, Michel Bénet au hautbois, Vincent Lucas à la flûte...), Kavakos s’engage dans une interprétation d’une finesse incroyable (les aigus!), laissant le son aérien de son violon s’épanouir avec magie dans la salle. Le troisième mouvement (Allegro vivacissimo), enchaîné avec le précédent, est impressionnant du point de vue technique mais manque d’humour, notamment dans les passages aux tonalités les plus folkloriques. L’orchestre est parfois en léger décalage, le tempo du soliste étant légèrement plus rapide que celui choisi par le chef, mais le résultat n’en est finalement pas moins convaincant.
Le plus intéressant restait toutefois à venir avec cetteSymphonie en mi majeur de Hans Rott. Etonnant personnage que celui-ci: né en 1858, à Vienne, issu d’une famille très modeste, il suit des cours au Conservatoire de musique de la capitale autrichienne, recevant notamment des cours d’orgue de Bruckner. En juillet 1878, il présente au Conservatoire une œuvre originale qui devait être le premier mouvement de sa symphonie. L’accueil est plus que réservé, ses examinateurs lui reprochant un style «trop wagnérien». Au mois de novembre de la même année, il revoit l’ensemble de sa symphonie qu’il présente finalement à Brahms qui, avec Eduard Hanslick et Karl Goldmark, doit décider de l’attribution d’une bourse d’Etat. Là encore, Rott reçoit une volée de bois vert même si Brahms admet que, à côté de «tellement d’éléments banals ou dépourvus de sens dans la composition», il s’y trouve «tant de belles choses». Ayant obtenu un emploi de directeur de musique à Mulhouse, Rott s’y rend en octobre 1880 pour entrer en fonction: pris d’un accès de folie dans le train, il sera finalement interné à Vienne puis à l’asile du land de Basse-Autriche, où il meurt en juin 1884: il n’avait pas vingt-six ans. Sa Symphonie tombe dans l’oubli avant d’être redécouverte dans les années 1980 et de faire l’objet d’un premier enregistrement discographique dirigé par Gerhard Samuel (Hyperion). Récente consécration, l’œuvre fut également donnée le 14 août 2011 dans le cadre du prestigieux festival de Salzbourg par l’Orchestre symphonique de la radio de Vienne dirigé par Cornelius Meister.
Paavo Järvi donne donc là une véritable rareté qui requiert un orchestre pléthorique, comportant notamment dix contrebasses, six cors, six trompettes, trois trombones, des bois par deux auxquels il faut ajouter un contrebasson... Et là, qu’entend-on? Au choix, une introduction au premier mouvement (Alla breve) qui n’est pas sans rappeler certains préludes de Wagner. Un deuxième mouvement dont les cuivres évoquent Sir Edward Elgar, des trémolos de cordes et un choral de cuivres qui font inévitablement penser à ce que pourra composer Gustav Mahler dans le troisième mouvement de sa Deuxième Symphonie (1888-1894) ou à la fin de laTroisième (1895-1896), la coda faisant penser pour sa part à certaines symphonies de Bruckner. Le troisième mouvement anticipe quant à lui très clairement sur Mahler, que ce soit le deuxième mouvement de sa Première Symphonie (1888) ou le troisième de sa Cinquième (1901-1903). Enfin, le quatrième mouvement (Sehr langsam – Belebt) évoque de nouveau Mahler (le choral de cuivres faisant penser à la Deuxième Symphonie) mais aussi Brahms (le legato des cordes rappelant leur même intervention dans le quatrième mouvement de la Première Symphonie, créée en 1876) ou encore Wagner, les dernières mesures évoquant la musique accompagnant les «Adieux de Wotan» à la fin de La Walkyrie (1870).
On sait que Rott avait assisté à la création de la Tétralogieen 1876 et que Mahler le tenait en haute estime. Faut-il pour autant voir dans cette unique symphonie une source musicale pour nombre de compositeurs? Toujours est-il que l’Orchestre de Paris, superbement dirigé par son directeur musical, brille de mille feux (quels cuivres!) pour rendre à cette symphonie toute sa cohérence. Bien que le dernier mouvement ne cesse jamais de finir, on ne peut rester insensible aux cordes dans le deuxième mouvement, ou aux sonorités burlesques du troisième. On retiendra également les solos d’André Cazalet au cor ainsi que les timbales ô combien requises de Frédéric Macarez. Cette entrée au répertoire de l’orchestre, qui décontenança quelque peu le public, applaudissant après le troisième mouvement, doit être saluée comme un bel hommage à un compositeur à la destinée tragique et dont l’œuvre mérite tout entière d’être redécouverte.
http://www.concertonet.com/scripts/review.php?ID_review=7852
Sebastien Gauthier
13 octobre 2011
Paris
Salle Pleyel
10/12/2011 - et 13 octobre 2011
Eduard Tubin : Symphonie n° 11
Piotr Ilitch Tchaïkovski : Concerto pour violon en ré majeur, opus 35
Hans Rott : Symphonie n° 1 en mi majeur
Leonidas Kavakos (violon)
Orchestre de Paris, Paavo Järvi (direction)
Salle Pleyel
10/12/2011 - et 13 octobre 2011
Eduard Tubin : Symphonie n° 11
Piotr Ilitch Tchaïkovski : Concerto pour violon en ré majeur, opus 35
Hans Rott : Symphonie n° 1 en mi majeur
Leonidas Kavakos (violon)
Orchestre de Paris, Paavo Järvi (direction)
Il est fort dommage que le public n’envahisse les salles de concert que lorsque la programmation affiche un tube du répertoire alors que des œuvres plus confidentielles méritent tout autant une écoute attentive et curieuse. Louons donc l’audace de Paavo Järvi qui, une fois encore, est sorti des sentiers battus en choisissant de programmer, outre un des plus célèbres concertos pour violon et orchestre qui soit, deux symphonies qui faisaient ce soir leur entrée au répertoire de l’Orchestre de Paris.
La diffusion de la musique d’Eduard Tubin (1905-1982) demeure encore très confidentielle. Outre plusieurs enregistrements publiés chez Bis, Järvi père avait tout de même pu donner au public parisien, déjà à la tête de l’Orchestre de Paris, sa Cinquième Symphonie. Quant à Järvi fils, il fréquente également Tubin depuis longtemps, dont il a d’ailleurs également enregistré la Cinquième à la tête de l’Orchestre symphonique de Cincinatti (Telarc) et la Onzième (1982) avec l’Orchestre royal philharmonique de Stockholm (Virgin). C’est de nouveau cette symphonie que Paavo Järvi avait choisie ce soir. Débutant par un important solo de timbales (saluons à cette occasion la prestation de Frédéric Macarez qui aura été grandement sollicité au fil de la soirée), ce mouvement unique Allegro vivace, con spirito, complété en 1987 par le compositeur Kaljo Raid à la demande de Neeme Järvi, utilise avec emphase les grandes masses orchestrales et n’offre sans doute pas la meilleure illustration du talent du compositeur estonien. On pense à «Mars» (Les Planètes de Holst) ou à une quelconque musique de film hollywoodien mais les parties de cuivres, de cors notamment, peinent à captiver, la partition restant trop à la surface des choses.
Tout autre est évidemment le Concerto pour violon de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) dont la renommée n’est plus à démontrer. Fines lunettes et cheveux longs, le prodige Leonidas Kavakos s’avance sur scène avec un grand sourire il faut dire que le vainqueur des concours Sibelius (1985) et Paganini (1988) a peu à craindre des difficultés techniques de cette partition. Si le jeu du soliste s’avère très propre dans le premier mouvement, Allegro moderato (pris d’ailleurs à une allure très mesurée par Järvi), on s’étonne de son peu d’implication: les notes sont jouées mais la passion, l’engagement, la ferveur sont absents sauf dans la cadence où le jeu s’anime enfin. Le deuxième mouvement (Canzonetta. Andante) est plus convaincant. Epaulé par une excellente petite harmonie (Philippe Berrod à la clarinette, Michel Bénet au hautbois, Vincent Lucas à la flûte...), Kavakos s’engage dans une interprétation d’une finesse incroyable (les aigus!), laissant le son aérien de son violon s’épanouir avec magie dans la salle. Le troisième mouvement (Allegro vivacissimo), enchaîné avec le précédent, est impressionnant du point de vue technique mais manque d’humour, notamment dans les passages aux tonalités les plus folkloriques. L’orchestre est parfois en léger décalage, le tempo du soliste étant légèrement plus rapide que celui choisi par le chef, mais le résultat n’en est finalement pas moins convaincant.
Le plus intéressant restait toutefois à venir avec cetteSymphonie en mi majeur de Hans Rott. Etonnant personnage que celui-ci: né en 1858, à Vienne, issu d’une famille très modeste, il suit des cours au Conservatoire de musique de la capitale autrichienne, recevant notamment des cours d’orgue de Bruckner. En juillet 1878, il présente au Conservatoire une œuvre originale qui devait être le premier mouvement de sa symphonie. L’accueil est plus que réservé, ses examinateurs lui reprochant un style «trop wagnérien». Au mois de novembre de la même année, il revoit l’ensemble de sa symphonie qu’il présente finalement à Brahms qui, avec Eduard Hanslick et Karl Goldmark, doit décider de l’attribution d’une bourse d’Etat. Là encore, Rott reçoit une volée de bois vert même si Brahms admet que, à côté de «tellement d’éléments banals ou dépourvus de sens dans la composition», il s’y trouve «tant de belles choses». Ayant obtenu un emploi de directeur de musique à Mulhouse, Rott s’y rend en octobre 1880 pour entrer en fonction: pris d’un accès de folie dans le train, il sera finalement interné à Vienne puis à l’asile du land de Basse-Autriche, où il meurt en juin 1884: il n’avait pas vingt-six ans. Sa Symphonie tombe dans l’oubli avant d’être redécouverte dans les années 1980 et de faire l’objet d’un premier enregistrement discographique dirigé par Gerhard Samuel (Hyperion). Récente consécration, l’œuvre fut également donnée le 14 août 2011 dans le cadre du prestigieux festival de Salzbourg par l’Orchestre symphonique de la radio de Vienne dirigé par Cornelius Meister.
Paavo Järvi donne donc là une véritable rareté qui requiert un orchestre pléthorique, comportant notamment dix contrebasses, six cors, six trompettes, trois trombones, des bois par deux auxquels il faut ajouter un contrebasson... Et là, qu’entend-on? Au choix, une introduction au premier mouvement (Alla breve) qui n’est pas sans rappeler certains préludes de Wagner. Un deuxième mouvement dont les cuivres évoquent Sir Edward Elgar, des trémolos de cordes et un choral de cuivres qui font inévitablement penser à ce que pourra composer Gustav Mahler dans le troisième mouvement de sa Deuxième Symphonie (1888-1894) ou à la fin de laTroisième (1895-1896), la coda faisant penser pour sa part à certaines symphonies de Bruckner. Le troisième mouvement anticipe quant à lui très clairement sur Mahler, que ce soit le deuxième mouvement de sa Première Symphonie (1888) ou le troisième de sa Cinquième (1901-1903). Enfin, le quatrième mouvement (Sehr langsam – Belebt) évoque de nouveau Mahler (le choral de cuivres faisant penser à la Deuxième Symphonie) mais aussi Brahms (le legato des cordes rappelant leur même intervention dans le quatrième mouvement de la Première Symphonie, créée en 1876) ou encore Wagner, les dernières mesures évoquant la musique accompagnant les «Adieux de Wotan» à la fin de La Walkyrie (1870).
On sait que Rott avait assisté à la création de la Tétralogieen 1876 et que Mahler le tenait en haute estime. Faut-il pour autant voir dans cette unique symphonie une source musicale pour nombre de compositeurs? Toujours est-il que l’Orchestre de Paris, superbement dirigé par son directeur musical, brille de mille feux (quels cuivres!) pour rendre à cette symphonie toute sa cohérence. Bien que le dernier mouvement ne cesse jamais de finir, on ne peut rester insensible aux cordes dans le deuxième mouvement, ou aux sonorités burlesques du troisième. On retiendra également les solos d’André Cazalet au cor ainsi que les timbales ô combien requises de Frédéric Macarez. Cette entrée au répertoire de l’orchestre, qui décontenança quelque peu le public, applaudissant après le troisième mouvement, doit être saluée comme un bel hommage à un compositeur à la destinée tragique et dont l’œuvre mérite tout entière d’être redécouverte.
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