Dans le sang…

concertonet.com
Sébastien Gauthier
16/10/2013

Paris
Salle Pleyel
10/16/2013 -
Jean Sibelius : Karelia, opus 11
Maurice Ravel : Concerto pour la main gauche
Camille Saint-Saëns : Symphonie n° 3 avec orgue en do mineur, opus 78
Jean-Frédéric Neuburger (piano), Thierry Escaich (orgue)
Orchestre de Paris, Paavo Järvi (direction)

J.-F. Neuburger (© Rikimaru Hotta)

En arrivant aux abords de la Salle Pleyel pour assister à un concert de l’Orchestre de Paris, il est rare de rencontrer quelqu’un présenter un petit carton recherchant une place pour la représentation du soir. Et pourtant, tel était le cas en ce mercredi, pour le premier de deux concerts où seul le concerto choisi par Jean-Frédéric Neuburger différait du programme de la seconde soirée, Liszt devant ainsi succéder à Ravel, les deux autres œuvres étant identiques.

Par ses origines estoniennes, par l’enseignement de son père, par goût aussi, Paavo Järvi s’est toujours affirmé comme un grand défenseur de la musique nordique. Et le concert débuta donc avec la merveilleuse suite en trois mouvements Karelia (1893) de Sibelius, qui faisait à cette occasion son entrée au répertoire de l’Orchestre de Paris. Même si la dernière attaque du pupitre de cors fut quelque peu vacillante à la fin du premier mouvement, l’interprétation d’ensemble fut plutôt convaincante; on remarqua notamment la très belle prestation de Gildas Prado au cor anglais dans le deuxième mouvement (quels ensembles de cordes également!), ainsi que le caractère enlevé à la joie communicative du mouvement conclusif.


Dans le cadre d’un agencement assez classique, la première partie du concert se poursuivait par un concerto, en l’occurrence le Concerto pour la main gauche (1931) de Ravel, que Jean-Frédéric Neuburger a déjà eu l’occasion d’interpréter, notamment au Festival de la Roque d’Anthéron. Dès l’introduction du contrebasson, le climat angoissant de cette pièce commandée par le pianiste Paul Wittgenstein emplit la salle Pleyel, Neuburger se glissant dans cette lourde atmosphère avec délectation. La main gauche, donc, répond sans difficulté aux diverses sollicitations techniques de la partition qui requiert une agilité de tous les instants: la rage démoniaque de Liszt n’est pas bien loin! Järvi dirige de son côté un excellent orchestre, qui alterne de manière idoine les accents issus du jazz et les passages qui regardent davantage vers les couleurs spécifiques à la musique française du début du XXe siècle.

On ne quittait d’ailleurs plus ce répertoire pour la seconde partie, qui comptait une seule œuvre, mais quelle œuvre, puisqu’il s’agissait de la célèbre Troisième Symphonie (1886) de Saint-Saëns. «J’ai donné ici tout ce que je pouvais donner» aurait dit le compositeur en parlant de sa dernière symphonie, puisque sur les cinq composées, deux ne portent pas de numéro; et le fait est que, tant par ses dimensions que par l’instrumentarium requis, elle s’inscrit parfaitement dans le mouvement symphonique français de cette seconde moitié de siècle qui vit notamment surgir la Symphonie en sol mineur de Lalo, la Symphonie sur un chant montagnard français de d’Indy, la Symphonie en ré mineur de Franck ou la Symphonie de Chausson. Järvi, l’Orchestre de Paris et Thierry Escaich connaissent bien cette symphonie pour l’avoir tout récemment donnée à Bucarest, ce dernier ayant également tenu la partie d’orgue à de nombreuses reprises, comme au festival de la Roque d’Anthéron en juillet 2010.

Face à un orchestre au mieux de sa forme (quelques pupitres ayant d’ailleurs changé de titulaire entre les première et seconde parties, Philippe Berrod remplaçant Pascal Moraguès à la première clarinette, Vincent Lucas remplaçant pour sa part Vincens Lucas à la première flûte et André Cazalet laissant également sa place de cor solo), Paavo Järvi livre une vision extrêmement détaillée de cette symphonie où l’on prend conscience de certains chants – cor anglais ou basson par exemple – que l’on n’a guère l’habitude d’entendre aussi clairement. Or, bien que l’ensemble demeure somptueux (de grandes enceintes posées sur les bords de la scène permettant à l’orgue de résonner comme il convient), le souci du détail et de la clarté des plans éclipse quelque peu l’architecture générale que l’on aurait souhaité percevoir davantage. De même, on regrette le manque de violence (les timbales dans l’Allegro moderato du second mouvement) ou la baisse de tension dans l’Allegro conclusif dans une œuvre qui est tout en contrastes et en variations colorées.

Une fois n’est pas coutume, salués par un public tout de même conquis, Järvi et l’Orchestre de Paris offrirent en bis une étourdissante «Bacchanale» tirée de l’acte III de Samson et Dalila (1868-1877), qui conclut ainsi de la plus belle manière une soirée dédiée en grande partie à la musique française. C’est si rare!
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