Poulenc : Stabat Mater, Gloria. Patricia Petibon, Paavo Järvi 1 cd Deutsche Grammophon
Classiquenews.comElvire James
25/10/2013
Pour le 50ème anniversaire en 2013 de la mort de Francis Poulenc, Patricia Petibon choisit deux cycles sacrés parmi les plus originaux dans l'oeuvre du compositeur. Chronologiquement, le Stabat Mater (1950) précède le Gloria (1959) : l'une et l'autre " accompagne " l'éclosion de son grand oeuvre sur la mort, l'opéra Dialogues des Carmélites (1957) dont la fin et le sujet central laissent déconcerté quant à l'acceptation du gouffre final. De fait, les épisodes du Stabat restent marqués par l'expérience la plus intense et la plus vive d'une foi insatisfaite, toujours inquiète voire parfois angoissée ; a contrario, le cycle tardif du Gloria, créé aux USA sous la baguette de Charles Munch, montre plus de recul et de distance, d'apaisement aussi dans la confrontation au sens profond de la vie humaine : la résolution s'achève dans un murmure confiant...
Sobre et déchirante prière de Poulenc
Dès août 1950, et en mémoire de son ami Christian Bérard, Poulenc compose un Stabat Mater d'une couleur très personnelle. Le 3 octobre, la partition est pleinement achevée. La lecture virginale de Poulenc est conforme à sa propre ferveur : intime, pudique, très émotive et plutôt méditative ; en rien démonstrative, son écriture rétablit surtout la place de la mère accablée de douleur confrontée impuissante au sacrifice de son fils sur la croix. Debout se tenait la mère de douleur : Stabat mater dolorosa ...
Sur le plan formel, Poulenc revisite l'écriture polyphonique de la Renaissance totalement réinventée, le choeur à 5 parties de Lully. C'est aussi d'une certaine manière la préfiguration de l'opéra à venir ... Dialogues des Carmélites de 1957, la première grave et profonde immersion sur le thème central de la mort ... sujet essentiel dans son oeuvre et au coeur de sa foi. D'ailleurs, le début du III réutilise le n°10 du Stabat : Fac ut portem... où la soprano soliste entonne une déchirante prière... résonance troublante mais d'une cohérence organique qui unit les parties d'une seule ferveur globale. Les épisodes de pure gravité n'empêchent pas de superbes instants d'effusion bienheureuses (n°4 : Quae moerebat). Le Stabat mater est créé au festival de Strasbourg le 13 juin 1951.
Sous la direction vive, affûtés voire brute de Paavo Järvi, chœur et orchestre sans affectation expriment la sobre plainte collective et soliste d'une succession d'épisodes affligés (début d'une noirceur lacrymale avec l'entrée des basses plutôt lugubres), tel un retable au dépouillement de plus en plus marqué. La fin brutale à peine sereine recueille ce climat de tension irrésolue. Dans les 3 sections qui lui sont réservées (6,10,12), Patricia Petibon incarne l'affliction, trouvant des couleurs justes (élégance maniériste du Vidit suum, soulignant les pointes de son extrême impuissance ; contrition tendue du Fac portem, de loin le plus bouleversant ; enfin, sans résolution fervente, le désespoir s'accomplit tel un acte ultime en vagues d'une intensité brûlante dans la dernière station : Quando corpus morietur)
Sans soliste, les Litanies confirme un travail remarquable sur le texte réalisé par le choeur : gravité, sobriété, lames tragiques et dignes d'une prière pleine d'intensité...
Même avis positif pour le Gloria, donc plus tardif. Porté par la réussite de son Stabat Mater précédent, Poulenc s'engage dans une nouvelle oeuvre chorale avec soliste : ainsi naît à partir d'avril 1959, son Gloria, écrit pour la fondation Koussevitzky. En 6 parties, l'oeuvre est l'expression d'une liberté pleinement assumée, s'écartant délibérément des oeuvres noires et dépressives : c'est un Vivaldi sanguin, ivre d'espérance qu'il revisite là encore. La partition est créée le 21 janvier 1961 sous la direction de Charles Munch. Puis en France sous la baguette de Georges Prêtre, le 14 février suivant. Le Laudamus Te puis le Domine fili unigente sont d'une légèreté presque insouciante, tandis que les Domine Deus et l'Agnus Dei (le plus long des épisodes) expriment au plus près l'intensité d'une foi ardente, exigeante, profondément vécue. Contrastée comme une partition baroque, le Gloria s'achève en une fin apaisée, preuve de la fin des tourments d'un Poulenc enfin pacifié, avec trompettes scandant la victoire finale. Spontanée, fougueuse voire fiévreuse, la ferveur de Poulenc colore ses oeuvres sacrées d'une empreinte jamais conforme, mais a contrario authentiquement sincère : Patricia Petibon dans le Domine Deus Rex coelestis exprime idéalement tout le mystère divin. De toute évidence, chef, choeur, instrumentistes et solistes savent éclairer la sobre ferveur de la prière de Poulenc : sans fioritures, l'effusion cible immédiatement l'émotion requise sans oblitérer les gouffres et vertiges nés d'une angoisse sincère. Superbe réalisation.
Poulenc : Stabat Mater, Gloria, Litanies à la Vierge Noire. Patricia Petibon, soprano. Chœur et orchestre de Paris. Paavo Järvi, direction. 1 cd Deutsche Grammophon 479 1497.
http://www.classiquenews.com/lire/lire_article.aspx?article=6839&identifiant=20131025WN4057UTVPF3AXLDD7DED43ZI
25/10/2013
Pour le 50ème anniversaire en 2013 de la mort de Francis Poulenc, Patricia Petibon choisit deux cycles sacrés parmi les plus originaux dans l'oeuvre du compositeur. Chronologiquement, le Stabat Mater (1950) précède le Gloria (1959) : l'une et l'autre " accompagne " l'éclosion de son grand oeuvre sur la mort, l'opéra Dialogues des Carmélites (1957) dont la fin et le sujet central laissent déconcerté quant à l'acceptation du gouffre final. De fait, les épisodes du Stabat restent marqués par l'expérience la plus intense et la plus vive d'une foi insatisfaite, toujours inquiète voire parfois angoissée ; a contrario, le cycle tardif du Gloria, créé aux USA sous la baguette de Charles Munch, montre plus de recul et de distance, d'apaisement aussi dans la confrontation au sens profond de la vie humaine : la résolution s'achève dans un murmure confiant...
Sobre et déchirante prière de Poulenc
Dès août 1950, et en mémoire de son ami Christian Bérard, Poulenc compose un Stabat Mater d'une couleur très personnelle. Le 3 octobre, la partition est pleinement achevée. La lecture virginale de Poulenc est conforme à sa propre ferveur : intime, pudique, très émotive et plutôt méditative ; en rien démonstrative, son écriture rétablit surtout la place de la mère accablée de douleur confrontée impuissante au sacrifice de son fils sur la croix. Debout se tenait la mère de douleur : Stabat mater dolorosa ...
Sur le plan formel, Poulenc revisite l'écriture polyphonique de la Renaissance totalement réinventée, le choeur à 5 parties de Lully. C'est aussi d'une certaine manière la préfiguration de l'opéra à venir ... Dialogues des Carmélites de 1957, la première grave et profonde immersion sur le thème central de la mort ... sujet essentiel dans son oeuvre et au coeur de sa foi. D'ailleurs, le début du III réutilise le n°10 du Stabat : Fac ut portem... où la soprano soliste entonne une déchirante prière... résonance troublante mais d'une cohérence organique qui unit les parties d'une seule ferveur globale. Les épisodes de pure gravité n'empêchent pas de superbes instants d'effusion bienheureuses (n°4 : Quae moerebat). Le Stabat mater est créé au festival de Strasbourg le 13 juin 1951.
Sous la direction vive, affûtés voire brute de Paavo Järvi, chœur et orchestre sans affectation expriment la sobre plainte collective et soliste d'une succession d'épisodes affligés (début d'une noirceur lacrymale avec l'entrée des basses plutôt lugubres), tel un retable au dépouillement de plus en plus marqué. La fin brutale à peine sereine recueille ce climat de tension irrésolue. Dans les 3 sections qui lui sont réservées (6,10,12), Patricia Petibon incarne l'affliction, trouvant des couleurs justes (élégance maniériste du Vidit suum, soulignant les pointes de son extrême impuissance ; contrition tendue du Fac portem, de loin le plus bouleversant ; enfin, sans résolution fervente, le désespoir s'accomplit tel un acte ultime en vagues d'une intensité brûlante dans la dernière station : Quando corpus morietur)
Sans soliste, les Litanies confirme un travail remarquable sur le texte réalisé par le choeur : gravité, sobriété, lames tragiques et dignes d'une prière pleine d'intensité...
Même avis positif pour le Gloria, donc plus tardif. Porté par la réussite de son Stabat Mater précédent, Poulenc s'engage dans une nouvelle oeuvre chorale avec soliste : ainsi naît à partir d'avril 1959, son Gloria, écrit pour la fondation Koussevitzky. En 6 parties, l'oeuvre est l'expression d'une liberté pleinement assumée, s'écartant délibérément des oeuvres noires et dépressives : c'est un Vivaldi sanguin, ivre d'espérance qu'il revisite là encore. La partition est créée le 21 janvier 1961 sous la direction de Charles Munch. Puis en France sous la baguette de Georges Prêtre, le 14 février suivant. Le Laudamus Te puis le Domine fili unigente sont d'une légèreté presque insouciante, tandis que les Domine Deus et l'Agnus Dei (le plus long des épisodes) expriment au plus près l'intensité d'une foi ardente, exigeante, profondément vécue. Contrastée comme une partition baroque, le Gloria s'achève en une fin apaisée, preuve de la fin des tourments d'un Poulenc enfin pacifié, avec trompettes scandant la victoire finale. Spontanée, fougueuse voire fiévreuse, la ferveur de Poulenc colore ses oeuvres sacrées d'une empreinte jamais conforme, mais a contrario authentiquement sincère : Patricia Petibon dans le Domine Deus Rex coelestis exprime idéalement tout le mystère divin. De toute évidence, chef, choeur, instrumentistes et solistes savent éclairer la sobre ferveur de la prière de Poulenc : sans fioritures, l'effusion cible immédiatement l'émotion requise sans oblitérer les gouffres et vertiges nés d'une angoisse sincère. Superbe réalisation.
Poulenc : Stabat Mater, Gloria, Litanies à la Vierge Noire. Patricia Petibon, soprano. Chœur et orchestre de Paris. Paavo Järvi, direction. 1 cd Deutsche Grammophon 479 1497.
http://www.classiquenews.com/lire/lire_article.aspx?article=6839&identifiant=20131025WN4057UTVPF3AXLDD7DED43ZI
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