L’inégalité devant le son

Ledevoir.com
Christophe Huss
16/01/2015


Photo : Charles Platiau Agence France-Presse


À l’image des représentations aviaires en aluminium qui ornent sa façade et ses salles de répétition, la Philharmonie de Paris est un drôle d’oiseau.
  Ceux qui se demandaient si les récents attentats parisiens allaient entacher l’ouverture de la Philharmonie de Paris, mercredi, n’ont pas tardé à s’apercevoir que l’atmosphère d’union sacrée régnant dans la capitale a plutôt servi les premiers pas d’un projet jusqu’ici vilipendé tous azimuts. Le président François Hollande, ovationné (c’est rare), n’a pas manqué de déclarer : « C’est la culture que les terroristes voulaient atteindre. »
  La direction de la Philharmonie insiste bien sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une salle de concert, avec des activités entre 20 h et 23 h, mais d’une sorte de « Beaubourg de la musique » accueillant salles de répétition, expositions (la première sur David Bowie…) et espaces éducatifs. La « main tendue » vers les nouveaux publics se fera aussi par la mise à disposition de 400 à 500 places à moins de 20 euros. Les revenus de billetterie compteront pour 50 % dans les recettes d’un budget annuel de 30 millions d’euros (42 millions de dollars), dont 7 millions pour le seul fonctionnement et entretien du lieu, selon les chiffres donnés au Devoir par Thibaud de Camas, directeur adjoint de la Philharmonie. Étrange, toutefois, cette idée de se départir du mot « Cité de la musique » pour en revenir à un concept dix-neuviémiste, à connotation élitiste, de « Philharmonie »…
  Les nuages
  Parmi les choses étranges entourant la Philharmonie il y a le volet acoustique. Longtemps un tandem composé du Néo-Zélandais Harold Marshall et du Japonais Yasuhisa Toyota a été crédité de l’acoustique. Mercredi, le nom de Toyota n’a même pas été évoqué : il avait encore plus disparu que l’architecte Jean Nouvel, très présent (et avec respect) sur toutes les lèvres malgré son ostentatoire absence physique.
  Harold Marshall, donc, pour une « nouvelle typologie de salle », qui n’adopte ni la forme « boite à chaussures » (Maison symphonique) ni la forme « terrasses de vignobles » (Philharmonie de Berlin) et visant « l’intimisme dans un grand volume » et la conjugaison « de la clarté du son et d’une longue réverbération ». Le seul modèle approchant existe à Christchurch en Nouvelle-Zélande. On comprend qu’à Paris le tandem Marshall-Nouvel a décidé de ce qu’était la nouvelle réverbération adéquate dans le répertoire symphonique… Interrogé sur la sensation inaccoutumée qui en résulte, l’acousticien responsable des opérations, Thomas Scelo, a répondu que « la réverbération n’est pas plus longue ; elle arrive plus tard » !
  Suspendue, asymétrique et entourée d’un espace, la Philharmonie n’est modulable qu’à travers une canopée centrale. Les chambres d’écho sont créées par l’espace derrière les balcons et de superbes nuages suspendus, qui invitent à l’élévation.
  Nouveau public, nouveau son
  Dans nos premiers contacts avec la salle, nous avons été frappés par une sensation inaccoutumée : loin d’être égalitaire, la spectaculaire Philharmonie de Paris, où seules 1000 des 2400 places ont un positionnement traditionnel par rapport à l’orchestre et au chef, offre une variété d’expériences sonores, chose carrément revendiquée par M. Scelo ! Peu nourri en graves derrière la scène ou au parterre, le spectre se comble avec plénitude sur le côté de l’orchestre, mais comme un mille-feuille, avec une expérience inouïe d’entendre non pas une salle de concert mais une prise de son multimicro. La salle pour des auditeurs qui écoutent la musique au casque ; c’est nouveau ! Plus on monte vers la chambre de résonance (haut des balcons), plus le son s’homogénéise et s’équilibre dans un sens « traditionnel ». Le grand défi des musiciens y sera de ne pas surdoser les bois et les vents. Mais pour quel « auditeur type » ; placé où ?
  La Philharmonie, qui compte comme ensemble en résidence l’Orchestre de Paris, l’Ensemble intercontemporain et Les Arts florissants, s’est ouverte mercredi par un concert-marathon de trois heures débutant avec Tuning up ! de Varèse, affichant notamment Hélène Grimaud dans le Concerto en sol de Ravel et comprenant la création mondiale d’un brillant Concerto pour orchestre de Thierry Escaich. Jeudi, Lang Lang était invité vedette dans le 1er Concerto de Tchaïkovski, le concert s’achevant par la Symphonie fantastique de Berlioz.

http://m.ledevoir.com/culture/musique/429119/philharmonie-de-paris-l-inegalite-devant-le-son

Comments

Popular Posts