Le vent en poupe

ConcertoNet
Simon Corley
7 Nov 2012

Paris
Salle Pleyel
11/07/2012 -
Maurice Ravel : Le Tombeau de Couperin
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour violon n° 3, K. 216
Henri Dutilleux : Sur le même accord
Igor Stravinski : Le Sacre du printemps

Christian Tetzlaff (violon)
Orchestre de Paris, Paavo Järvi (direction)

C. Tetzlaff (© Giorgia Bertazzi)

Partiellement repris le lendemain (le début et la fin en demeurant inchangés), le programme de ce mercredi soir de l’Orchestre de Paris apparaissait indéniablement composite sur le papier mais se sera finalement révélé stimulant. Absent de l’affiche de l’orchestre depuis 1998, Le Tombeau de Couperin (1917/1919), sous la baguette de son directeur musical, se déploie en privilégiant, parmi les qualités éminemment ravéliennes, le caractère délicatement ouvragé de l’instrumentation davantage que la tendresse ou l’émotion. D’une rondeur hédoniste et melliflue, le propos a quelque peu tendance à s’alanguir, parfois même jusqu’à des effets d’un goût contestable, comme à la fin de la Forlane.

Christian Tetzlaff (né en 1966) est confronté à un effectif considérablement réduit (trente et une cordes): cela tombe bien, car la puissance ne constitue pas son atout principal. Comme pour ses débuts à l’Orchestre de Paris, voici douze ans, le violoniste allemand a choisi le Troisième Concerto (1775) de Mozart, où il ne se contente pas prudemment de s’en tenir aux poudres et perruques du «style galant» mais s’ingénie à épicer le discours de multiples nuances de dynamique et de sonorité, de cadences très personnelles et de brefs commentaires sur les points d’orgue. Voilà qui intrigue et qui bouscule sans doute les habitudes – on n’est pas accoutumé à de tels contrastes dans ce répertoire – mais qui en renouvelle l’intérêt et l’approche: avec ce Mozart bien vivant et provocateur, il prend des risques et se met en danger, mais sait aussi conférer une véritable expression vocale au chant de l’Adagio.

Dédié à Anne-Sophie Mutter, qui en bissa la création française en novembre 2003, Sur le même accord (2002) de Dutilleux trouve également dans son compatriote un soliste inspiré, dont la sensibilité à fleur de peau rend justice aux deux facettes de ce «nocturne», lyrique mais aussi fantastique. Tetzlaff, qui sera de retour à Paris le 6 mars prochain à l’Auditorium du Louvre comme premier violon de son quatuor, répond de bonne grâce aux nombreux rappels du public en offrant une bien ludique et pimpante Gavotte en rondeau de la Troisième Partita de Bach.

En cette saison qui marque le centenaire de sa création, on entendra beaucoup Le Sacre du printemps (1913) dans la capitale, que ce soit sur les lieux de cette naissance aussi houleuse que légendaire – le Théâtre des Champs-Elysées – ou dans d’autres salles. Paavo Järvi ouvre le feu avec une interprétation qui a le mérite de sortir quelque peu des sentiers (désormais) battus du chef-d’œuvre de Stravinski. En effet, le diagnostic d’un Debussy incorrigiblement persifleur («Musique sauvage avec tout le confort moderne») aura rarement semblé aussi pertinent, tant le texte est travaillé – dès la première note, sur laquelle le basson effectue un crescendo – et tant la couleur, dans la continuité de L’Oiseau de feu et de Pétrouchka, se pose en facteur aussi important que le rythme, pourtant généralement considéré non sans raison comme primordial dans ce ballet.

Nul n’en sera surpris: à un déroulement instinctif et à la va-comme-je-te-pousse, à une surenchère de volts et de décibels, le chef préfère une construction minutieuse et une mise en place attentive. Si la pulsation et les pulsions ne dominent donc pas sans partage, la «sauvagerie» ne perd pas pour autant tous ses droits: même si elle est soigneusement dosée, avec un bel équilibre entre les pupitres et une sonorité toujours raffinée, la puissance y est et la progression de la première partie («Adoration de la Terre»), magistralement menée, aboutit à une tempétueuse «Danse de la Terre». La phalange parisienne se présente au grand complet – de façon tout à fait inhabituelle, on remarque ici, dans bon nombre de pupitres (notamment des bois), la présence de leurs deux musiciens principaux – et, surtout, en parfait ordre de marche, au travers d’une discipline et d’une qualité d’exécution impressionnantes.

Décidément, alors que dans la perspective de l’échéance prochaine du mandat de Myung-Whun Chung, Lionel Bringuier, nommé à la tête de la prestigieuse Tonhalle de Zurich, semble ainsi avoir échappé au Philharmonique de Radio France et que le National peine à trouver un rythme de croisière satisfaisant avec ses directeurs musicaux, Daniele Gatti et, à titre «honoraire», Kurt Masur, l’Orchestre de Paris a le vent en poupe.
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