L’Orchestre de Paris au sommet

Altamusica
Claude Helleu
Le 20 juin 2013

Concert de fin de saison de l’Orchestre de Paris sous la direction de Paavo Järvi, avec la participation du violoniste Frank Peter Zimmermann à la salle Pleyel, Paris.



Bravo à Paavo Järvi pour l’impressionnante progression de l’Orchestre de Paris sous sa direction depuis septembre 2010 ! Le dernier concert de leur saison parisienne en a témoigné dans une Première de Mahler à l’hétérogénéité magnifiquement identifiée, après que Frank Peter Zimmermman, en parfaite entente avec l’orchestre, nous eut subjugués dans Chostakovitch.

Ce concert de l’Orchestre de Paris marque triomphalement la fin de la saison. Sous la direction toujours précise, sobre et ferme de Paavo Järvi, nous nous rendons d’abord avec Jean Sibelius au royaume glacé de Tuoni, l’Enfer mythologique finlandais qu’un sombre fleuve encercle. Là, des profondeurs s’élèvent des cordes enlacées sur lesquelles veille un cygne noir éternel, cor anglais au souffle infini.

Un moment de magie intemporelle avant les ravages du Premier Concerto pour violon de Dimitri Chostakovitch. Impassible, corps et son impeccablement droits, Frank Peter Zimmermann transcende les audaces de cette partition. Sur tous les registres du Stradivarius de 1711 ayant appartenu à Fritz Kreisler, le Nocturne captive d’emblée, noblement sinueux, affirmé mais interrogatif, avant que le Scherzo s’emporte et nous emporte là où couve la colère osée par le compositeur dans l’URSS de Staline.

Ce que le mouvement contient de « maléfique, démoniaque, épineux », disait David Oïstrakh, son créateur, Frank Peter Zimmermann, naturellement démiurge, nous en fascine. L’hallucinante virtuosité et la richesse de la sonorité exacerbent les provocations. Regarder le violoniste assumer la violence de ces pages et leurs traits sidérants avec une telle aisance en prolonge paradoxalement le malaise et l’impatience, partagés par un orchestre solidairement exalté.

Dialogues provocateurs ou méditation commune de la Passacaille perpétuent l’entente entre le soliste et les pupitres de l’orchestre. En surgit la cadence du violon : cinq minutes délirantes somptueusement maîtrisées. La Burlesque témoigne ensuite de l’humeur populaire d’une fête revendiquant ses gaillardises, ses plaisirs et leur vanité. Une jouissance pour ses interprètes et leurs auditeurs contaminés.

Inaugurant l’une des séries symphoniques les plus décisives de l’histoire, Paavo Järvi conclut ce programme avec la Symphonie Titan de Gustav Mahler. Audaces là aussi, là déjà, vaudrait-il mieux dire, puisque la première mouture de l’œuvre remonte à 1888.

Forêt de timbres, fragments de fanfares aux clarinettes, chant des violoncelles… l’esprit règne sur un premier mouvement au lyrisme provisoirement paisible – lentement, en traînant, comme un bruit de la nature, indique Gustav Mahler – mais de plus en plus sombre. L’ironie des trompettes en rompt la mélodie, ouvrant la voie aux ambiguïtés qui la jalonnent, soulevées par les solistes de l’orchestre tous et dans tout remarquables.

Le contraste du deuxième mouvement – puissant, agité – et de son Ländler n’en est que plus tranché. La lourdeur de la danse populaire autrichienne, la vulgarité ironique des cuivres, le déchainementfortissimo de la valse lente se vivent sans états d’âme. Pourtant partition et interprétation interrogent. Entrain forcé ? Frère Jacques, Frère Jacques … dormez-vous ? Les cordes fusionnelles sous-entendent la tendre question.

Qui bientôt devient une sorte de marche funèbre hétérogène, à la fois inquiétante et tendre, fantasque, dramatique. La mélodie passe d’un pupitre à l’autre, se heurte à des sonorités de bastringue incongrues et se parodie, en renaît sublimée, portée par un orchestre à l’homogénéité parfaite.

Sous la vision de Paavo Järvi, la symphonie suit inexorablement sa progression. Tumultes et lumière du quatrième mouvement s’opposent mais aussi se fondent. La puissance des déflagrations sonores, les retombées tragiques et les éclaircies soudaines participent de la même trajectoire victorieuse. De la percussion à la contrebasse, vents et cordes se transcendent, pénètrent tant la richesse du parcours que les incidents qui l’émaillent.

Concert de fin de saison de l’Orchestre de Paris sous la direction de Paavo Järvi, avec la participation du violoniste Frank Peter Zimmermann à la salle Pleyel, Paris.

Jean Sibelius (1865-1957)
Le cygne de Tuonela, Légende op. 22 n° 2
Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
Concerto pour violon n° 1, en la mineur, op. 99
Frank Peter Zimmermann, violon
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie n° 1 en ré majeur, « Titan »
Orchestre de Paris
direction : Paavo Järvi

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