Orchestre de Paris, Paavo Järvi et Radu Lupu à la Salle Pleyel

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André Tubeuf
03/04/2014

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On tenait à entendre l’Orchestre de Paris dans la même salle, lui aussi dans une grande symphonie, deux jours seulement après le choc du Concertgebouw à Pleyel dans Brahms et Bruckner. Première constatation : la sonorité de Paris s’épanouit plus naturellement dans les volumes et les matériaux de Pleyel où le Concertgebouw semble à la recherche de quelque ampleur (ou pli d’aisance) de plus pour respirer et s’épanouir à l’aise, quelque chose de rêche pouvant en venir à sa sonorité. Seconde constatation : il y a désormais dans les cordes de Paris un possible moelleux, un fondu en même temps qu’une scintillation qu’on n’aurait osé espérer il y a quelques saisons. Cela s’est vu dans le Langsamer Satz de Webern (bien inutilement lénifié pour orchestre à cordes) et, beaucoup plus utilement, dans le Ruhevoll de la Quatrième de Mahler, d’emblée magiquement illuminé par le soyeux des cordes ; et de la façon sans doute la plus significative, par la qualité chambriste exemplaire avec laquelle l’Orchestre et son soliste se sont entendus dans le largo du Premier concerto de Beethoven, de bout en bout joué par Radu Lupu avec une simplicité, un détachement, ce qu’on pourrait croire une désinvolture apparente : et une sonorité, un génie du toucher simplement venus des dieux. Le tact de Paavo Järvi de bout en bout d’un programme aussi complexe et contrasté, atteignait ici à son mieux.
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S’il y a une troisième constatation, c’est qu’une tradition, une bouteille, ça demande quand même des années, pour ne pas dire des dizaines d’années. Orchestre jeune, Paris sait être chez lui dans tout, ce qui en somme est sa mission, il n’a pas de patrimoine spécifique à défendre (ou alors bien étroit). Mais certaines musiques voient leur sonorité, mais d’abord leur approche, changée aux mains d’un orchestre où année après année le fil se passe et se transmet, et un tissu orchestral arrive à sa plénitude. Dans ce plus discret (et en apparence anodin, avec son prétexte enfantin) des Mahler, l’Orchestre de Paris est encore à la recherche d’une continuité du son ; en sorte que les accidents d’itinéraire, toujours voyants chez Mahler (et plus d’une fois vedettes de la narration) mais volontairement plus effacés dans cette Quatrième, laissent parler le flux, si on peut dire. Que le lisse (ou le rêve, ou la vision) intègre ruptures, brefs sauts dynamiques, ce qui pourrait secouer, faire contraste, accidenter le parcours (aux yeux de beaucoup, le rendre par là plus intéressant). D’attaque, dès les premiers grelots, on a vu l’Orchestre à la recherche de sa propre balance sonore. Vite établie, elle a ensuite permis un vrai parcours comme une coulée avec, notamment en début de Ruhevoll, une qualité étale, scintillante et illuminée qu’on n’osait pas attendre.
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Mlle Dragojevic s’est habillée en petite sirène pour nous chanter La Vie au Ciel du 4e mouvement. Elle phrase Mahler, et elle l’articule, deux choses bien différentes, dont elle s’acquitte aussi bien. L’écriture de ce lied n’est pas si tendue qu’elle exige une tessiture à l’exclusion d’une autre. Va donc pour mezzo. Mais c’est un fait que dans les moments les plus graves que la soliste ait à chanter, l’argentin du timbre passe mieux avec les instruments fournis de Mahler que la sonorité plus neutre de la mezzo, cette mezzo en tout cas, à ces moments-là, et qu’alors les mots, tout simplement, sont mangés par les instruments. Bruno Walter avait ses raisons pour préférer ici les Ivogün ou Schöne ou Novotna — des sopranos, mais d’abord des timbres. Les très bonnes qualités passe-partout de Mlle Dragojevic ne sont pas marquantes au point de faire oublier cet inconvénient-là, et ce qui vient d’un rien criard à l’aigu, là où celui-ci pourrait flotter…
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