Quelques semaines après l’annonce de son départ en 2016, Paavo Järvi et l’Orchestre de Paris ont attesté de leur fusion artistique

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Bruno Serrou
18/09/2014

Paavo Järvi et l'Orchestre de Paris. Photo : DR

C’est sur une partition, Métaboles, du compositeur français qui l’a le plus accompagné depuis sa création en 1967, Henri Dutilleux, que l’Orchestre de Paris a ouvert son deuxième concert de la saison 2014-2015, qui a été précédée par l’annonce par Paavo Järvi, son directeur musical en personne, de son départ en juin 2016 vers les cieux japonais. Charles Munch, le fondateur de la phalange parisienne et qui fut un proche de Dutilleux, dirigea non seulement la création de sa Symphonie n° 2 « Le Double » alors qu’il était le patron de l’Orchestre Symphonique de Boston, mais inscrivit aussi ses Métaboles dès la première saison de l’Orchestre de Paris, qui donnera deux ans plus tard la première mondiale du concerto pour violoncelle Tout un monde lointain sous la direction de Serge Baudo, qui avait été l’assistant de Munch, fruit d’une commande de Mstislav Rostropovitch. Composées en 1964, les cinq pièces aux titres évocateurs (Incantatoire, Linéaire, Obsessionnel, Torpide, Flamboyant) qui s’imbriquent les unes dans les autres pour constituer Métaboles, œuvre pour grand orchestre avec bois et cuivres par quatre et dix contrebasses, sont le fruit d’une commande de George Szell pour le cinquantième anniversaire de l’Orchestre de Cleveland, qui en a donné la première exécution mondiale le 14 janvier 1965. La partition est conçue à la façon d’un concerto pour orchestre, chacune des parties, dont la formule initiale subit une succession de métamorphoses, privilégiant une famille spécifique d’instruments, bois, cordes, percussion, cuivres, avant d’être toutes réunies dans le finale. Le chef estonien et son orchestre français en ont donné une interprétation souple et aérée mais manquant parfois d’allant, Järvi préférant laisser sonner les pupitres solistes, il est vrai tous plus délectables les uns que les autres, tandis que les textures des tutti se sont avérées particulièrement fluides.


Xavier Phillips. Photo : DR

L’œuvre concertante qui a suivi est très fréquentée par les apprentis violoncellistes mais peu jouée au concert. Il est vrai qu’elle a clairement davantage une essence scholastique que créatrice et musicale, même sous l’archet du plus musicien des violoncellistes français, Xavier Phillips. Bien que plus significatif que son concerto pour violon, le Concerto pour violoncelle et orchestre en ré mineur qu’Edouard Lalo composa en 1876. Surtout connu à l’opéra pour son Roi d’Ys et au concert pour sa Symphonie espagnole, la création du compositeur lillois connaît depuis une dizaine d’années un frémissement de résurrection. Le concerto pour violoncelle, qui a déjà figuré par deux fois au programme de l’Orchestre de Paris (1978 avec Paul Tortelier, 2011 avec Marc Coppey) compte trois mouvements dans lesquels le soliste ne cesse que fort rarement de jouer. Chacun alterne des épisodes vif-lent-vif, le mouvement initial étant précédé d’un séduisant prélude marqué Lento dont la rythmique gouverne la partition entière tel un leitmotiv. L’amour du compositeur nordique pour l’Espagne imprègne naturellement l’œuvre dans sa globalité dont le caractère populaire est ponctué dans l’Intermezzo central de passages d’une profonde mélancolie où l’instrument soliste peut s’épancher dans une véritable rêverie. Xavier Phillips, toujours très concentré mais au jeu d’une générosité prodigue, a transcendé les vingt-cinq minutes de ce concerto de ses sonorités de braise, par l’ampleur de ses respirations, sa gestique concentrée mais large au service d’un chant d’une générosité communicative, l’Orchestre de Paris lui érigeant un tapis à l’étoffe onctueuse. En bis, le violoncelliste français a donné le troisième mouvement de la Suite n° 1 pour violoncelle de Benjamin Britten « pour rester dans l’esprit espagnol de Lalo », climat suscité par des pizzicati joués comme sur une immense guitare.

Beaucoup plus fréquentée que le concerto de Lalo, appartenant au répertoire symphonique le plus populaire, la Symphonie n° 5 en mi mineur op. 64 (1888) de Tchaïkovski qui a occupé toute la seconde partie de la soirée a figuré au programme du concert que l’Orchestre de Paris et Paavo Järvi ont donné au Festival d’Aix-en-Provence le 5 juillet dernier en hommage à Patrice Chéreau. Le « destin » « sans espoir » que le compositeur dépeint dans cette partition est sombre et douloureux, mais aussi empreint d’une lumière plus ou moins consolatrice qui perce de l’obscurité la plus noire. Paavo Järvi en a donné une interprétation tendue comme un arc malgré les pauses entre les mouvements qui ont amoindri les aspérités autobiographiques de l’homme Tchaïkovski pour mieux en souligner la science de l’orchestration et le sens des couleurs propres au compositeur russe. Les musiciens de l’Orchestre de Paris ont ainsi pu briller sans relâche, rivalisant de sonorités et de virtuosité, l’atmosphère ombrée étant plantée dès le début par le chant onctueux des deux clarinettes. La direction exaltée et exaltante de Järvi a soulagé l’œuvre de son pathos excessif, mais l’on eut apprécié davantage d’allant et de grincements dans la Valse, tandis que le chant du mouvement lent est apparu merveilleusement humain, alors que le finale a atteint une suprême unité. A souligner les splendides solos de clarinettes, de cor, basson, de somptueux traits d’altos et de violoncelles, précis dans le rythme souvent complexe à réaliser.

http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/09/quelques-semaines-apres-lannonce-de-son.html

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