Solaires, jubilatoires, hallucinés

Altamusica.com
Claude Helleu
10/09/2014
Concert de rentrée de l’Orchestre de Paris sous la direction de Paavo Järvi, avec la participation du violoniste Maxim Vengerov à la salle Pleyel, Paris.
 

Après un Concerto pour violon de Brahms au parcours solaire sous l’archet de Maxim Vengerov, Paavo Järvi et l’Orchestre de Paris mettent la musique française à l’honneur avec la Troisième Symphonie d’Albert Roussel et La Valse de Maurice Ravel lors de leur concert de rentrée, des plus brillants, à la salle Pleyel.

Bassons et cordes graves imposent leur sonorité profonde pour accueillir le Stradivarius-Kreutzer 1727 de Maxim Vengerov. En parfait accord avec les pupitres de l’Orchestre de Paris, partageant avec Paavo Järvi à leur tête un engagement tranquille et assuré, le violoniste va irradier leur parcours du Concerto de Brahms.

Aussi sobrement véhémente que méditative, naturellement maîtresse de ses difficultés, son aisance imprègne l’expressivité d’un phrasé qui peu à peu s’enflamme, s’exacerbe en une cadence somptueuse écrite par l’interprète et idéalement conclue dans le retour de l’orchestre sollicité pour un chant fusionnel.

L’Adagio s’épanouit en émerveillements heureux. La mélodie inspirée du hautbois introduit des instruments à vent ici solistes complices du violon et de son élévation dans la lumière. Cette interprétation solaire mène à une fête finale jubilatoire. Entrain des rythmes chers à Brahms, influence tzigane des danses, allégresse de s’y donner : le Finale consacre la vitalité de ce lyrisme aux bonheurs rayonnants.

Paavo Järvi avait consacré la seconde partie du programme de ce concert de rentrée à la musique française. Un choix des plus intéressants pour écouter enfin certaines œuvres trop ignorées de notre patrimoine, telle la Symphonie n° 3 en sol mineur d’Albert Roussel. Composée en 1929-1930, son dynamisme la rend immédiatement séduisante, d’autant que Järvi et l’Orchestre de Paris, au mieux de son homogénéité, font leur son apparente spontanéité Allegro vivo, n’hésitant pas à pimenter parfois de quelques traits irrévérencieux la détermination de sa liberté.

Un style fugué aux bois à la fête dans l’Adagio, des cuivres et des cordes non moins captivés : brassé par son chef, l’orchestre s’en donne à cœur joie dans une ambiance jubilatoire. Vivace, Allegro con spirito, la clarté, la concision de l’écriture et de l’interprétation nous ravissent. Fantaisie et originalité inspirent les virtuosités provocantes, l’insolence souriante d’une composition à l’ampleur affirmée et dont la rigueur étaye l’imagination.

En contrepoint à l’expressivité audacieuse résolument assumée par tous et chacun, la cantilène du violon solo avec la clarinette, le basson et les cors nous offre un délicieux moment de romantisme avant l’exaltation finale qui couronne ces pages remarquables de transparence et d’éclats instrumentaux.

Et c’est l’entrée saisissante dans le mystère de temps en suspens… Contrebasses pianissimo, retenue, embryons de phrases, promesse et attente avant que La Valse de Ravel prenne son élan, bientôt « tournoiement fantastique et fatal ». Le kaléidoscope des sonorités, les vertiges rythmiques, les ruptures percutantes et les glissandi inquiétants ensorcellent.

Magistral à la tête d’un Orchestre de Paris survolté, aussi implacable que la musique qu’il dirige, Paavo Järvi habite l’esprit du chef-d’œuvre d’un Ravel plus fascinant que jamais. Démoniaque juste ce qu’il faut, ne se hâtant jamais pour mieux prendre feu, maître de la morbidité omniprésente, aux aguets de la catastrophe immanente et tout à l’ivresse de la sensualité dévastatrice, il propulse vers nous les arrachements de cette Valse fiévreuse, qu’elle nous entraîne à sa suite dans ses hallucinations. 

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