MAHLER ET PAAVO JÄRVI : L’APOTHÉOSE DES ADIEUX


resmusica.com
Jean-Luc Clairet
Le 23 juin 2016
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Paris. Philharmonie. 18-VI-2016. Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°3 en ré mineur. Michelle DeYoung, alto. Choeur de l’Orchestre de Paris, Choeur d’enfants de l’Orchestre de Paris, (chef de choeur Lionel Sow, chefs de choeur associés Edwin Baudo, Marie Deremble-Wauquier, Marie Joubinaux, Béatrice Warcollier), Orchestre de paris, direction : Paavo Järvi.

Naguère encore une des moins jouées du compositeur, laSymphonie n° 3 de Mahler connaît aujourd’hui une belle revanche. C’est elle que Paavo Järvi a choisie pour dire adieu à l’Orchestre de Paris, qu’à la suite de Christoph Eschenbach, il aura dirigé de 2010 à 2016.

Les symphonies de Mahler sont les opéras déguisés d’un compositeur qui n’a jamais pratiqué le genre. Sa 3ème, la plus longue (1h40), son « monstre à lui», en tout cas une symphonie-monde, composée dans la lumière de l’été autrichien du lac de Steinbach am Attersee, questionne la place de l’Homme dans la Nature, dépassant le pictural qu’il ne dédaigne pas (Mahler n’aura jamais aussi bien que là fait honneur à son patronyme!), pour atteindre le cosmos. En 6 mouvements, (dont les 37 minutes – équivalent de la durée d’une symphonie classique – du premier, baptisé avec une facétie toute mahlérienne Introduction gravent l’œuvre dans le le livre des records de l’Histoire de la Musique), et des sous-titres (Ce que me disent les fleurs, les animaux, l’homme, les anges, l’amour), Mahler déploie un génie orchestral et mélodique tel que l’on n’en finira jamais de s’indigner des critiques dont le venin a longtemps empêché que, comme il le prophétisait, son temps ne vînt! Immédiatement galvanisante pour le mélomane novice, toujours envoûtante pour les autres, la 3èmede Mahler est aujourd’hui une œuvre populaire.

Symphonie à effets, elle est un test pour tous : chef, musiciens, et même salle. Le connaisseur s’inquiète: les harpes, aussi gâtées que chez Berlioz, parviendront-elles toujours jusqu’aux tympans, la violence des cordes frappées sur l’archet en fin du premier mouvement sera-t-elle perceptible, les timbales seront-elles noyées dans la masse dans la péroraison finale ?… bref : le tout sera-t-il à la hauteur des prises de son d’une symphonie qui a beaucoup donné au disque (la version fondatrice de Bernstein, certainement la plus fascinante ou encore celle de Salonen, ou encore la plus lente (1h50) du très sous-estimé Maazel , toutes trois chez Sony) ?…

Globalement, même si un parterre tassant légèrement les effets de masse ne parvient pas tout à fait à atténuer ces angoisses, et nous donne envie de nous élever dans les hauteurs de la Philharmonie, le test s’avère payant pour tous. Pour l’Orchestre de Paris, qui a appris sa 3ème avec Bernstein en 1970. Pour Paavo Järvi, chef à l’intelligence absolue devant l’arche d’une oeuvre qu’il a enregistrée : rubato parcimonieux, tempi assez allants, peut-être un peu trop dans le Comodo Scherzando, parfaite architecture de la première partie, traquant le moindre effet (le braiment de l’âne rarement aussi audible!). Paavo Järvi offre un luxe de détails à cette spécificité mahlérienne : l’orchestre de solistes. Le cor de postillon spacialisé du troisième mouvement, d’un cheveu en délicatesse dans l’aigu, n’entache en rien la prestation d’un ensemble remarquable où la classe des cuivres, la verdeur toute sibelienne des bois, la chatoyance et la cohérence des cordes témoignent du travail unanimement fêté accompli au fil des 217 concerts donnés en France et à l’étranger sous le mandat du chef estonien. La résonance de cathédrale (hélas trop vite abrégée par des applaudissements trop pressés) post-apothéose finale en dit long sur l’osmose atteinte par un orchestre transformé in fine en orgue géant. Pour le chœur préparé par Lionel Sow, couronnant la précision rythmique incontestable de sa trop brève intervention par un bim! final decrescendo, absolument magique, bras tendu vers le sublime Ruhevoll final qui laissera la bride sur le cou à d’irrésistible timbaliers, qui arrachera des larmes à une Michelle DeYoung, parfaite de profondeur cosmique sur O Mensch!, et dont la sérénité radieuse au cours du plus bel adagio de Mahler s’efface devant les larmes nées de la beauté du monde.
Fêté par un discours d’adieu de Bruno Hamard, Directeur général de l’Orchestre, par la remise d’une lettre de Hector Berlioz, par une Valse Lyrique de Sibelius jouée par un orchestre autonome, par une salle debout, Paavo Järvi, dorénavant Directeur musical de l’Orchestre symphonique de la NHK, cèdera la baguette à Daniel Harding. Bienvenue au nouveau directeur musical de l’Orchestre de Paris!
Crédit photo: Jean Christophe Uhl
http://www.resmusica.com/2016/06/23/mahler-et-paavo-jarvi-lapotheose-des-adieux/

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