La Philharmonie accueille le "NHK" de Tokyo : Paavo Järvi et Janine Jansen en public conquis

bachtrack.com
Pierre Liscia
4.03.2017

Retour attendu que celui de l'ancien directeur musical de l'Orchestre de Paris. Celui qui sut porter à ses sommets la phalange parisienne exerce-t-il le même art avec sa nouvelle formation, l'Orchestra de la NHK de Tokyo ? En guise de réponse, deux des œuvres favorites du chef estonien : le Concerto de Sibélius et la Dixième Symphonie de Chostakovitch. Avec, dans le rôle de la partenaire idéale, la flamboyante Janine Jansen.


© Marco Borggreve

Tout est acéré dans le jeu de Janine Jansen ; à commencer par sa façon d'écouter. La violoniste semble avoir une oreille près de son violon, et l'autre au fond de la salle. La maîtrise du rendu sonore est prodigieuse, et démontre une science de l'acoustique qui dépasse le simple instinct musical. Et ce, dès les premières mesures : désincarnées, comme on a l'habitude, mais aussi complètement détimbrées, sans pourtant que cela n'affecte l'intelligibilité du discours. Janine Jansen est de ces artistes qui vous imposent le silence par l'éloquence de leur construction musicale. Techniquement, c'est impeccable. Surprenant, au premier coup d'œil : car sa gestuelle active pourrait impliquer des soucis de réverbération, tandis que l'on sent une réelle tension imprimée dans le mouvement de la main droite. Mais ici, l'un et l'autre de ces désagréments sont balayés, tant la gestuelle est intégrée au naturel du jeu. De la poigne de fer de Janine Jansen s'évadent les sonorités les plus volubiles : comme si le geste instrumental était ici mise en tension, et le rendu sonore libération de cette tension. Mais si, dans l'oreille du spectateur, la tension s'évapore, l'attention, elle, ne faiblit pas ; car Jansen a compris qu'il y a chez Sibélius une minutieuse rhétorique, et construit son final, apparent sabbat déchaîné, comme un éloquent discours. Sans manquer d'en surligner au mieux les détails : les coups d'archet sautillé ont le mordant des dents qui claquent. Dans cette structuration des registres, les différentes intensités du vibrato jouent un rôle essentiel ; ainsi, dans certains passages en double-cordes, le seul vibrato structure l'apodose d'une péripétie mélodique, qui se fait alors catabase. Impossible sans le travail de nivellement sonore de l'orchestre. C'était déjà palpable dans les premières mesures ; ça l'est plus encore dans la pédale de cuivres portant le chant initial du 2ème mouvement. Les cors, discrets mais présents, permettent à Janine Jansen d'oser un son feutré pour ensuite aller crescendo dans l'intensité des passions qu'elle donne à entendre. En bis, la Sarabande de la IIe Partita de Bach. Jansen parvient à y imprimer une identité sonore véritablement personnelle ; à une époque où la tendance est à l'uniformisation des sonorités, une telle prestation ne peut que réjouir.


© Kaupo Kikkas



La Symphonie achève de nous prouver les qualités de pédagogue de Paavo Järvi. En probablement bien peu de répétitions, le chef est parvenu à communiquer à son orchestre tout ce qu'il savait de l'acoustique de la salle. Si bien qu'alors que le premier mouvement s'ouvre sur le grondement des contrebasses, toute la salle tremble avec nous. On admire d'emblée, dans le grand solo de cordes initial, les qualités formelles de cet orchestre (supervisé, chose inédite en France, par des "inspecteurs" responsables de la bonne marche de chacun des pupitres !) ; au-delà de la parfaite cohérence des places d'archet, dans les cordes, on repère même des choix délibérés de doigtés imposés à tous. Ce qui implique un véritable travail de concertation pupitre par pupitre, travail également perceptible dans la remarquable intonation de l'harmonie. Les qualités sont ainsi collectives, mais aussi individuelles ; on reste captif de l'envoûtant filet sonore du piccolo, à la fin du premier mouvement. Les timbales, au timbre très sec, participent de l'acuité sonore globale. Le rendu est immédiat, comme ce grand acmé des cordes à la fin du premier mouvement, où les mouvements d'archet semblent être autant de coups de fouet qui nous frappent par leur force et leur vélocité. Autre démonstration de maîtrise dans le deuxième mouvement, où le bourdonnement des cordes aboutit à une saturation sonore maîtrisée. La marche des cuivres, elle, a l'éloquence macabre d'un Dies Irae. Dans l'allegretto, le tempo est relativement lent ; mais il permet à Paavo Järvi de jouer au jeu de questions-réponses qu'il maîtrise si bien, et de donner un sens aux espaces de silence que le tempo procure.


Après d'enthousiastes applaudissements, un bis : c'est la Valse Triste de Sibélius. Encore une œuvre choisie à dessein ; car certains se souviendront l'avoir entendue par l'Orchestre de Paris, à l'époque passée de la Salle Pleyel. Et de se remémorer les habitudes si caractéristiques de la direction du chef estonien. Une bien belle manière de nous montrer que, malgré les nouveaux chemins qui se dessinent devant lui, Paavo Järvi n'est jamais vraiment parti.

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