PAAVO JÄRVI DIRIGE LE NHK DANS SON ANCIEN FIEF



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Alice Aigrain
3.03.2017

C’était un retour attendu. Le titre de la soirée NHK/JÄRVI, en lettre capitale ne s’y trompe pas, c’est bien ce couple récent entre l’ancien chef de l’Orchestre de Paris et la formation japonaise que le public était venu écouter hier soir. Dans un programme avec du Sibelius et Chostakovitch, les spectateurs ont pu admirer une collaboration prometteuse que l’on souhaite cependant voir évoluer vers plus de rondeur.



Paavo Järvi est celui qui durant 6 ans a reconstruit l’âme de l’Orchestre de Paris. A force de travail, de bienveillance et d’exigence, il a su faire de cette formation un ensemble régulier dans la qualité de ses interprétations. Alors quand il a annoncé en 2014 son départ en 2016 pour le NHK de Tokyo, le monde de la musique classique parisienne s’est ému et a regretté par avance celui qui a su égailler nos oreilles. Son style intense et un peu rêche, sa gestuelle saccadée de percussionniste, son apparent manque de lyrisme avait surpris avant de séduire Paris. Sa conquête a surtout été celle de l’Orchestre, un indéniable lien était en place entre les musiciens et le chef d’orchestre. Le plaisir de jouer ensemble avait rapidement pris le dessus sur tous les autres défis qui acculaient pourtant une formation en perte de vitesse. Paavo Järvi est donc parti, quand tout était de nouveau au mieux, avant que la lassitude puisse émerger. Une stratégie intelligente, bien qu’un peu frustrante tant pour le public que pour le chef puisque ce dernier déclarait au Figaro il y a encore quelques jours : « Si vous saviez ce que l’Orchestre de Paris me manque ! Mon cœur est encore avec eux. ». Alors quand un an après son départ, ce dernier revient dans ce qui était sa scène, avec son nouvel orchestre, le public est là. La salle est complète et l’attente est grande. Le scénario est similaire : le NHK est un orchestre qui doit se refondre l’âme pour regagner sa stature internationale.

Il y a d’abord eu le Concerto pour violon en ré mineur de Jean Sibelius, porté par la soliste Janine Jansen. Dans cette œuvre d’une virtuosité recherchée, le violon reste prédominant durant les trois mouvements. Instrument de prédilection du compositeur, la pièce lui offre toutes les latitudes pour permettre au soliste de s’exprimer et de se tester. Le baron Axel Carpelan parlera à propos du concerto d’un « embarras de richesses », il faut dire que Sibelius ne s’est rien interdit. Le premier mouvement en allegro moderato est marqué par les arpèges et les doubles cordes. Suit un adagio di molto d’un lyrisme rompu par les dissonances des cuivres. La soliste répond par les sauts d’octaves brisés, dans une lente discussion avec les flutes. Enfin le second allegro, s’impose comme un feu d’artifices qui expose la largeur de jeu du violoniste, accompagné et dramatisé par l’unisson des cordes et la puissance sonore des bois. Aux double-cordes et staccato succèdent une montée très rapide dans l’aigu puis des sauts d’octaves gigantesques, arpèges doubles et montée d’octaves brisées. Janine Jansen avait donc devant elle un terrain propice tant à une démonstration virtuose qu’à un jeu émotif. Comme hors du temps, la soliste a su prendre et garder la place de protagoniste, sans partir dans un long monologue éclipsant l’orchestre. Sa gestualité, son engagement, ont permis de mettre en lumière la gravité romantique de cette composition du début du XXe siècle.

La complicité de l’association entre Paavo Järvi et l’orchestre symphonique NHK Tokyo a pu s’apprécier surtout lors de la seconde partie consacrée à l’interprétation de le Symphonie n°10 en mi mineur de Dimitri Chostakovitch. Critiquée pour son formalisme par les instances soviétiques lors de sa création, elle est l’une des symphonies les plus importantes de la seconde moitié du XXe siècle. L’intensité du jeu de baguette de Järvi correspond bien à cette composition sombre et déchirante à la rythmique mécanique. Dans ses Mémoires, le compositeur confiera que cet opus est à lire comme l’illustration de Staline et de son époque. Vilipendé par les pouvoirs soviétiques qui reprochent à l’évolution formelle de la musique l’abandon de la mélodie au profit de « combinaisons sonores chaotiques et névrotiques, qui transforment la musique en cacophonie », Chostakovitch répond par cet opus pessimiste et lourd où les fortissimi déchirants succèdent à des percussions dramatiques et fantastiques, installant ainsi une tension permanente qui oppresse et accable. L’orchestre et son chef ont réussi parfois à atteindre un niveau d’intensité – notamment lors du second mouvement en Allegro – qui laissent à penser que l’écoute et la complicité se met en place dans cette nouvelle association. Pourtant la violence du message de la symphonie semble parfois un anéanti par la rigueur de l’orchestre. A la gravité ne doit pas se confondre la raideur, et la sonorité manquait parfois de souplesse et de rondeur. Alors quand Paavo Järvi dit : « Mon rôle est d’ouvrir la sonorité et de travailler la souplesse et la réactivité : je suis dans ma deuxième saison et ça commence à venir. Donnez-moi encore deux ans ! », sachant les miracles dont il est capable, peu nombreux sont ceux qui doutent de son succès déjà en marche. Le public lui, continue d’applaudir le couple NHK/Järvi un long moment, comme pour raccourcir un peu le temps qui le sépare de sa prochaine rencontre avec celui qu’il considère encore un peu, comme son chef d’orchestre.


© AFP – C. Platiau


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