LUDWIG VAN BEETHOVEN Symphonies n° 1 et 5
Deutsche Kammerphilharmonie
Paavo Järvi RCA- 49880 176593 7

Peut-on dire "sans surprise"? Non, car l'imagination d'un ensemble tel que la Deustche Kammerphilharmonie (DKP) et Paavo Järvi n'est pas prévisible. D'ailleurs contrairement aux interprétations "motoriques et mécaniques" de Beethoven (je pense à Gardiner et Zinman), les disques de l'intégrale Paavo Järvi-DKP nourrissent l'esprit et les sens écoute après écoute. Parce que les phrasés ont une élasticité, parce que, aussi, l'attention de l'auditeur peut se porter sur divers paramètres (équilibres, accentuation, dialogue entre les instruments, lisibilité polyphonique). D'ailleurs la lisibilité polyphonique est telle que l'on peut vraiment s'intéresser à des lignes et dialogues même secondaires.
Concernant la prévisibilité, il ne faut jamais vendre la peau de l'ours. C'est là le troisième volume de l'intégrale et le troisième 10/10, mais il reste notamment la Pastorale et la Neuvième, deux oeuvres majeures qui, lors de l'intégrale Järvi en concert en 2007 au Festival de Lanaudière (Québec), n'étaient pas encore tout à fait mûres. Le chef et l'orchestre auront-ils l'occasion de les creuser encore davantage avant enregistrement: ce sera le mystère et le suspense des deux derniers volets.
En ce qui nous concerne, ici, dans ces enregistrements de 2006, la DKP et Paavo Järvi nous livrent la Cinquième qu'on attendait. Pas de bruit (au sens de la violence), mais une explosive force intérieure et une imagination sonore qui va jusque dans l'apparition de cuivres bouchés (cf. 1er mouvement ou transition vers IV) pour figurer la sonorité d'instruments anciens.
On rappellera quelques préceptes esthétiques. Le Beethoven de ce tandem sans équivalent repose – outre la force intérieure de cette "explosion sous contrôle permanent" – sur une clarification limpide. Tout événement sonore qui surgit, surgit avec un impact propre. L'expérience et le rodage du tandem fait en sorte que tout cela n'apparaît pas comme un procédé mais comme une partie organique de la respiration musicale.L'accentuation, nette sans être brutale, est un élément de cette articulation. L'Andante con moto de la Cinquième prend une valeur d'exemple. Pulsation et tempo parfaits (un vrai "con moto"), étagement dynamique réservant à l'apparition des cuivres le "degré supérieur" de la puissance, articulation découpée au scalpel.
À propos du caractère organique de la chose on remarquera l'assise remarquable du discours sur les cordes graves, élément de tradition allemande et furtwänglérienne. On les suivra dans le 3e mouvement évidemment (le plus grand 3e mouvement de la discographie avec celui de Vänskä) mais je vous suggère également de les scruter dans les deux dernières minutes du 2e mouvement. Dans le Finale violoncelles et contrebasses restent présents sans avoir été dopés par la prise de son (qui aurait pu les "spectaculariser"). Sur le même thème, on remarquera que le piccolo du Finale, malgré sa mise en relief très proéminente, est traité au même titre que d'autres proéminences (le piccolo est ici une sorte de "radicalisation sonore" de la flûte que l'on entend précédemment dans le mouvement) et ne tombe pas du ciel pour faire "piou-piou" comme dans les interprétations de Simon Rattle.
Puissance (plus qu'ivresse), tenue et transparence caractérisent cette grande Cinquième, complétée par une Première tout aussi accomplie, dès la balance des vents (avec émergence de la flûte) sur les premiers accords. La félinité du rebond de l'Allegro con brio initial est tout simplement renversante, alors que, là aussi, le mouvement "lent" est un vrai "con moto". Selon les goûts on peut le juger un peu pressé et léger. C'est une optique plus ludique face au cantabile charmeur habituel. Le Menuet subjugue par sa pulsation, l'interaction entre les divers pupitres de cordes et l'enchaînement "dans la respiration" d'un trio léger comme de la crème chantilly. Le Finale est (évidemment?) un feu d'artifice qui fuse de toutes parts. L'articulation des violons est un chef-d'œuvre et ce mouvement s'avère être un exemple très approprié pour percevoir la singularité de l'interprétation et du concept polyphonique développé par Järvi et la Deutsche Kammerphilharmonie.
Deux derniers mots. L'écoute a été faite à partir de l'édition japonaise: veuillez vérifier dans votre pays quelle date de parution est prévue par l'éditeur. Enfin, si le SACD est techniquement exceptionnel, j'ai été frappé sur certaines chaînes par le manque de brillant de la couche CD, une stéréo assez éteinte. J'espère que ce n'est pas un phénomène trop fréquent...
--Christophe Huss

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